La Marque du Temple
noir ?
« Et non point quelques décoctions de racines de Mandragore, Satan’s apple, comme disent les Anglais ? Ou de l’écume de Cerbère, le chien des Enfers, l’aconit ? Ou plus vraisemblablement une eau croupie, certes imbuvable, provoquant la dissenterie, mais non point le Mal noir ? interrogea le baron, l’œil soupçonneux, sans imaginer ce jour qu’il pourrait bien en être victime.
— En vérité, je ne le pense pas, répliqua Foulques de Montfort. La disparition de l’une de ces fioles a coïncidé avec l’arrivée de l’epydemie à bord de nos nefs. Les sinthomes de cette maladie ont été formellement reconnus par le physicien Guy de Chauliac, huitième chirurgien du pape : “le Mal noir, rien d’autre !” nous a-t-il affirmé. Vous souvenez-vous, messire Bertrand ? »
Sur ce point, je ne puis qu’approuver le chevalier. Le physicien du Saint-Père avait été catégorique et sa réputation était sans faille, à ce que nous avions ouï dire. Et la coïncidence, par trop étrange.
Peu après les matines, nous étions tous épuisés sans avoir vraiment fait avancer le débat. Nous nous étions livrés à moult spéculations, aussi peu vraisemblables les unes que les autres. La plupart d’icelles, à mon avis. Sans avoir pu répondre aux cinq ou six questions essentielles qui s’imposaient à mes yeux :
I. La fiole dérobée au père d’Aigrefeuille contenait-elle le Mal noir ou quelque autre maladie ?
II. Qui pouvait avoir eu connaissance de son pouvoir maléfique ? À part nous ?
III. Le Mal noir était-il apparu fortuitement ou avait-on délibérément tenté de le propager ?
IV. Si le geste était voulu, qui donc avait pu le répandre à bord de nos nefs ?
V. Quels objectifs ce grand criminel visait-il ? Contre qui ?
J’avais bien une idée derrière le chef, mais je m’accoisai. Mon heure n’était point encore venue d’apporter une nouvelle controverse en cette assemblée. Je devais auparavant poursuivre mes voies et vérifier mes suppositions en d’autres lieux, auprès d’autres personnes.
Peu avant les laudes, nous ne pouvions plus articuler un mot, tant notre gosier était sec. Michel de Ferregaye, le seul en principe à avoir accès à la librairie du logis seigneurial, nous avait fort aimablement servi une maigre pinte de vin de Bordeaux dans trois coupes d’étain. Non encore coupée d’eau.
Pour en finir, le chevalier de Montfort, après s’être désaltéré, avait conté derechef les entrevues qu’il avait obtenues dans l’entourage du pape et qui le confortaient dans l’idée d’un complot organisé par la secte ismaélienne des Hachichiyyins. Nous étions revenus au point de départ !
La première entrevue, il l’avait obtenue, dès notre arrivée, auprès de monseigneur Guillaume d’Aigrefeuille, le frère du défunt aumônier général de la Pignotte, la seconde par-devant le cardinal, vice-chancelier de la Chancellerie pontificale, la troisième auprès de monseigneur Gasbert de Laval, l’évêque camé-lier qui gouvernait la Camera apostolica , la Chambre apostolique.
Ce dernier avait remis au chevalier de Montfort un sauf alant et venant pour le prévôt de l’hôtel des monnaies du château de Sorgues, où les papes faisaient frapper monnaie d’or, d’argent et de cuivre.
Le garde des monnaies, après avoir vérifié l’authenticité des documents en notre possession, avait baillé au chevalier Foulques les florins d’or, contre-valeur des lettres à changer, au profit du baron de Beynac et de lui-même. Non sans avoir omis de déduire une contributio ad limina.
Pour avoir vu la mine qu’avait faite alors le chevalier de Montfort, j’en avais déduit qu’elle ne devait pas être aussi modeste que le père Louis-Jean d’Aigrefeuille l’avait laissé entendre à l’époque.
Après des jours passés à nous morfondre dans l’antichambre du Magister Sacri Palatii , le père dominicain maître du Sacré Palais, sans pouvoir en obtenir audience, nous avions quitté la cité pontificale d’Avignon.
Notre chevauchée nous avait conduits par les villes de Montpellier, de Carcassonne et de Cahors avant de rejoindre le château de Beynac en compagnie de monseigneur Étienne Aubert, cardinal et grand pénitencier, légat pontifical en l’espèce. Notre troupe était composée de douze gardes pontificaux.
Dès que nous eûmes franchi le pont Saint-Bénézet qui reliait les
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