La Marque du Temple
et moi, tête nue, ceinturon bouclé, épée, braquemart et dague au côté. Le soleil déclinait. La chaleur devenait supportable. Un léger vent d’ouest nous apportait un brin de fraîcheur. Plusieurs coucous appelaient leurs femelles par-delà les murailles, dans les bois alentour. Les cerfs ne bramaient point encore.
Dans une cour, près le donjon, les chevaliers, les écuyers, les sergents et tous les serviteurs jasaient entre eux, chaque groupe de son côté. J’aperçus Marguerite. Elle se tenait en retrait et fit semblant de ne pas me prêter attention. Par un étrange coup de baguette magique, ses cheveux, coupés courts à présent, avaient recouvré leur superbe couleur châtain clair et encadraient son ravissant visage. Une fée était passée par là.
« Messires chevaliers, messires écuyers, je vous présente le ci-devant messire Brachet de Born, premier écuyer du baron de Beynac, notre nouveau capitaine de céans par intérim et sur ordre du baron lui-même ».
Une rumeur s’éleva aussitôt. D’aucuns ricanèrent, d’autres entreprirent avec insolence des conciliabules improvisés. La partie se jouerait serrée. Seuls les pages, les serviteurs et les servantes ne bronchèrent pas. Tout au plus me regardèrent-ils d’un air étonné en se balançant d’un pied sur l’autre.
Je constatai que la plupart des gens d’armes arboraient une barbe aussi généreuse que celle du mestre-capitaine de la Santa Rosa et de son mestre en second. Aucun, à l’exception de Raoul d’Astignac, ne portait sur sa cotte les armes du baron. Plusieurs d’entre eux avaient une tenue négligée, d’une propreté douteuse.
Un homme d’armes de modeste taille, aux yeux noirs et vicieux, au nez crochu, à la barbe volumineuse, aux cheveux rares et aux lèvres en lame de couteau, ricana :
« Un écuyer ? Un simple écuyer capitaine de la place ? Non, mais je rêve !
— À qui ai-je l’honneur, messire ?
— Vous parlez au chevalier banneret Romuald Mirepoix de la Tour, dont la famille possède plus de huit quartiers de belle et grande noblesse, cracha-t-il, en bombant le torse et en se paonnant avec outrecuidance.
— Sachez messire, que vous vous adressez à un gentilhomme dont les ancêtres ont participé aux premiers pèlerinages de la Croix, avec le comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles. L’un de mes aïeux a été armé chevalier par le roi Louis lui-même, neuvième du nom, lors de la bataille de Mansourah.
« Post mortem. Pour s’être interposé et avoir été transpercé par une lance sarrasine destinée à notre saint roi, nous avons le grand honneur d’écarteler nos armes aux lys de France. Par ordonnance royale !
— Peu me chaut votre ascendance, messire Brachet !
— Peu me chaut aussi la vôtre, messire Mirepoix ! » répliquai-je tout de gob.
Je sentis le vent tourner en ma défaveur. J’engageais bien mal mon affaire. Trop sûr de moi, trop prétentieux. Je tentai de rattraper ce faux pas :
« Messire d’Astignac, veuillez plutôt lire l’ordonnance du baron de Beynac à cette noble assemblée », lui ordonnai-je en lui tendant mon ordre de mission, alors que quelques écuyers clabaudaient à tout va.
Le capitaine d’armes s’apprêtait à en donner lecture, à bonne voix, sans bafouiller, lorsqu’il fut interrompu par la voix rocailleuse d’un énorme chevalier à la chevelure blonde, longue et filasse, qui bouclait un ceinturon sur un surcot à ses armes. Il nous rejoignit d’un bon pas malgré son fort embonpoint :
« Un instant, je vous prie ! Voilà, je suis tout ouïe ! » proclama-t-il en se campant sur des jambes aussi fortes que des gigots et en croisant les bras sur la poitrine. Le capitaine d’armes reprit lecture du parchemin. Sans parti pris. Sans commentaire. Je lui en sus gré.
Lorsqu’il eut terminé, tout mon petit monde (une bonne cinquantaine de personnes, à la vérité) y alla d’un bon train de commentaires. Personne ne rit pour autant. Sauf un chevalier. L’inévitable Mirepoix de la Tour qui m’apostropha derechef :
« N’êtes-vous point un peu jeunot, messire écuyer, pour prétendre nous dicter une conduite ?
— Ces broçailles qui cachent une bonne partie de votre visage voudraient-elles masquer votre grand âge, messire ? Depuis quand n’avez-vous pas eu recours au rasoir d’un barbier ? Ne craignez-vous point qu’un brûlot ne vous fasse danser un jour une estampie endiablée à
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