La Marque du Temple

toi par l’entrebâillement de cette porte, lui précisai-je.
    — Si c’que vous dîtes est vrai, on n’peut avoir d’regard que pour vous, rétorqua-t-il, un tantinet jaloux.
    — Tu as grand tort René, de là où elle se tient, elle ne peut lorgner que toi… »
    René se dressa séant. L’eau gicla du baquet. Il eut juste le temps de voir une porte se refermer brusquement. Mon brave sergent sourit aux anges et se glissa derechef dans l’eau en disant :
    « Alors, c’doit être un lutin.
    — Crois-tu que les lutins portent des robes qui froufroutent en la châtellenie ? intervint Marguerite.
    –… … » René étira ses muscles sans piper mot.
    « René, n’écoute point ! J’ai deux mots à dire à Marguerite.
    — J’écoute rien, j’entends plus rien. J’ai du savon mol dans les oreilles… » me répondit-il, sans se rendre compte de la contradiction de sa réponse.
    J’invitai Marguerite à se rapprocher de moi et lui chuchotai dans le creux de l’oreille :
    « Je croyais que tu étais promise à un certain Jacques, le fils du meunier de Saint-Julien de Lampon ? Crois-tu que tes emportements à mon égard soient dignes d’une fiancée ?
    — Il est mort cet hiver, le pôvre. Que Dieu ait son âme. Je ne suis plus engagée sur l’honneur, messire Bertrand.
    — Oui, et bien tout ça est bien beau, mais ce n’est ni le jour ni l’heure pour mignarder. Mes pensées vont à Isabeau de Guirande. Tu le sais. Tu sais aussi que je t’aime tendrement. Comme, comme… un frère.
    — Ah ? Comme un frère ? s’insurgea-t-elle, les mains sur les hanches. Ce n’est point le message que j’avais cru lire en vos yeux et ouïr un certain jour lorsque, après m’avoir dérobée, vous fûtes allongé sur moi moins sagement qu’un curé », me répondit-elle tout bas, les yeux légèrement embués. Je me ravisai devant sa touchante détresse :
    « Chu-u-u-t… On pourrait nous entendre, lui recommandai-je, en désignant René du menton, avant de chuchoter :
    « Tu as cependant dit vrai. Je te dois la grâce de le reconnaître. Je t’aime d’esprit et de chair plus que de raison. Très sincèrement.
    — Je n’appartiendrai qu’à vous, messire Bertrand. Je le jure sur les Évangiles. Et le plus tôt sera le mieux. Je me fais déjà bien vieille », ironisa ma petite fétiote de lingère à peine âgée de dix-huit printemps, une délicieuse moue à la commissure des lèvres.
    — Nous aviserons tantôt. Pour l’heure, ne jure pas et permets-moi de poursuivre ma mission avant tout, aussi désirable sois-tu », lui dis-je en souriant et en repoussant délicatement, mais fermement la main qu’elle venait de glisser innocemment et derechef dans l’eau de mon bain.
    « Mais, dis-moi, qu’as-tu fait à tes cheveux ? » Je venais soudainement de réaliser qu’ils avaient viré du châtain clair à la couleur de la paille délavée.
    « Je les ai teints à la graisse de chèvre et à la fiente de pigeon, me répondit-elle en passant une main dans sa nuque. Pour ressembler à votre mie. Ne m’avez pas avoué un jour qu’elle était plus blonde que les blés ?
    — Je n’en sais fichtre rien en vérité. Mais ce que je sais, c’est que tu vas incontinent te laver pour reprendre ta couleur naturelle ; sinon je ne te désirerais plus », lui dis-je avec un faux semblant de courroux dans la voix. Elle n’en fut pas dupe. Elle se remochina :
    « Je regrette, messire. Cela est impossible. Je ne connais point de teinture à l’envers et vous devrez patienter encore plusieurs semaines pour qu’ils retrouvent leur couleur d’origine. Leur couleur naturelle.
    — Tant pis pour toi. Tu devras alors patienter aussi plusieurs semaines avant que je ne porte à nouveau mes yeux sur ton espiègle et coquette personne ! »
    Vexée, elle m’affronta, tourna les talons et disparut de ma vue en fredonnant :
     
    Marguerite, nous verrons bien si la rose
    Qui à l’heure de none n’est plus éclose,
    Aura retrouvé avant prime sa vesprée,
    Sur son visage tout chafouin et desfacié…
     
     

     
     
    À l’heure où sonnaient les vêpres, nous étions vêtus de propre de la tête aux pieds : Marguerite avait eu la délicate attention de poser à côté de nos baquets, des linges, des chemises d’une blancheur immaculée, des chausses, deux surcots sans manche aux armes des Beynac, et des souliers propres.
    Nous nous rendîmes sur le lieu du rassemblement, René