La Marque du Temple
la façon de Saint-Guy si nos ennemis y décochent une sagette enflammée ? Je redoute pour vous qu’un visage glabre ne dévoile les rides d’un vieillard revêche ! » Plusieurs écuyers rirent à gueule bec. Quelques chevaliers sourirent. D’aucuns lui crièrent :
« Fais-le danser céans, Romuald ! Qu’il nous montre de quoi il est capable, ce jeune baveux ! » Un autre hucha :
« Il est bien fendu de la gueule, le nouvel écuyer. Voyons s’il est accort en combat rapproché ! »
Rouge de colère, le chevalier de la Tour s’amalit, se rua sur moi en dégainant une épée à quillons courbes et trifoliés, dans un grincement atroce, et rugit, outrecuidé :
« Vous m’insultez, messire, et allez le payer de votre vie incontinent ! »
René voulut s’interposer. De ma main dextre, je lui ordonnai de n’en rien faire. La partie se jouait sur le champ. Si je l’emportais, j’enlevais la place ; si je perdais l’assaut, je n’avais plus rien à espérer de ces gens qui m’étaient hostiles. Sauf la mort.
Je desforai mon épée et mon braquemart un peu trop tard, au moment où il se précipita sur moi, la garde haute. J’esquivai, un pas en arrière, la garde basse, lorsqu’il abattit sur mon crâne le tranchant de sa lame.
La pointe effleura ma poitrine. Elle entailla mon surcot. Son épée heurta le sol. J’eus pu attendre qu’il arme à nouveau son épée au-dessus de son chef pour lui porter mon coup favori contre les droitiers : un coup d’estoc plongeant au creux de l’aisselle. Le coup aurait été mortel, mais je n’étais point venu pour occire les chevaliers de la place.
Dans le feu de l’action, les quillons courts et trifoliés de sa garde m’avaient donné l’idée de tenter une contre-attaque risquée dont le succès ne dépendait que la vitesse d’exécution.
À l’instant où sa garde était basse, je saisis l’occasion pour avancer au corps, croiser son fer, le bloquer sur un des quillons et lui arracher l’épée de la main en pivotant vivement autour de lui, sur le côté à dextre.
À la chaude, il fut pris sans vert. Son épée vola dans l’air et se planta aux pieds d’un des spectateurs qui chut sur le cul en reculant précipitamment. Dans le même mouvement tournoyant, je me retrouvai dans son dos avant qu’il n’ait repris ses esprits, glissai le tranchant de la lame de mon épée sous sa gorge et mon braquemart entre ses coillons.
« Vous êtes fait, messire Mirepoix. Portez-vous les boules à dextre ou à senestre ? Apprenez à vous battre avant de défier un simple écuyer. Ce n’était pourtant là que jeu courtois, bien que livré à épée non rabattue. Vous ne manquez point de courage pour avoir osé m’affronter sans me connaître.
« Pour sûr, je n’ai pas souvenance de vous avoir vu vous battre près les faubourgs de la Madeleine pour tenter de repousser les bannières de messires Gautier de Mauny et Franque de la Halle, les maréchaux de l’ost du comte de Derby. Le sire de Mirepoix, l’un de vos parents peut-être, combattait certes du côté anglais. Mais il fut occis en brave par le chevalier de Montfort {xix} .
« En d’autres lieux, je ne vous ai point vu essuyer une charge, lances couchées, près notre ville d’Auberoche par exemple ! Y étiez-vous, messire Mirepoix ? »
Sous l’insulte, l’homme rougit jusqu’à la racine des quelques cheveux qui parcouraient son crâne. Il crut opportun de se justifier :
« Non, messire Brachet. C’était grande tristesse ; le baron nous avait ordonné de ne point quitter nos quartiers en le château de Commarque.
— Grande tristesse, dîtes-vous ? Soit, mais avez-vous repoussé des échelles d’assaut ? Livré un combat au corps à corps ? Autre qu’icelui ce jour d’hui, bien sûr ?
— Non, messire, je le confesse, reconnut-il, l’air quinaud.
— Avez-vous chargé à l’outrée par échelon sous les penons du comte de Pierregord à un contre dix ? Avez-vous repoussé une attaque des pirates barbaresques sur les mers d’Orient (là, j’en rajoutai un peu {xx} ).
— Je n’ai participé à ce jour qu’à des tournois à plaisance, à lance épointée et à épée rabattue, avoua-t-il, à rebelute.
— Soit ! Voilà belle raison, s’il vous en fallait une de plus, pour vous soumettre dorénavant aux ordres de messire Pons de Beynac, notre maître, dont je ne suis que le lieutenant en cette place », lui confirmai-je en
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