La Marque du Temple
mais vous avez magnifiquement cloué le bec de ce chevalier qui vous morguait de haut. Vous fûtes émerveillable.
— Comment as-tu fait pour changer si vite la couleur de tes cheveux ? Ne m’as-tu pas affirmé tantôt que c’était impossible avant plusieurs semaines ?
— Un coup de baguette magique ! Une bonne fée a croisé mon chemin. J’en ai profité pour la prier d’en réduire la longueur. Cela vous convient-il à présent ?
— Tu es plus adorable et plus désirable que jamais, mais l’heure n’est point au déduit, je dois rendre visite aux dames de Guirande », rétorquai-je en me redressant séant, non sans une grimace de douleur.
Je crus qu’elle allait se remochiner à l’idée que j’allais enfin faire la connaissance d’Isabeau de Guirande. Loin s’en fallut. Elle ne sembla point troublée. Bien au contraire, elle me sourit, l’œil chargé de malice, et se retira en m’adressant un baiser soufflé du bout des doigts. Elle ne manifestait, curieusement, pas le moindre signe de jalousie. La petite garce !
J’en fus, sur le coup, orgueilleusement attristé. À moins qu’elle n’ait détenu une information que j’ignorai. Je n’allais pas tarder à être fixé. Alors qu’elle s’éloignait, en ondulant de la croupe avec provocation, elle se retourna, revint sur ses pas pour me tendre un morceau de bois :
« Ah ! J’oubliais. Voici un bâton de reuglisse. Je vous conseille de frotter vos dents matin et soir. Elles sont bien jaunes. Brossez aussi les gencives. Vous les fortifierez, éviterez que les dents ne vident leurs arçons et aurez meilleure haleine : il ne plaît point aux dames de baiser une bouche édentée aux relents d’ail et d’oignons, ou de je ne sais quoi. Cela ne donnerait guère envie à damoiselle Isabeau de prolonger de tendres ébats avant de vous laisser l’emmistoyer… »
Un écuyer se présenta à moi peu après. Je lui mandai de me conduire à la chambre de ces dames. L’écuyer, Élastre de Puycalvet, m’informa que damoiselle Isabeau de Guirande s’était retirée depuis plus d’un mois en l’abbaye de Saint-Cyprien, où elle faisait retraite.
La réponse me sonna autant que si j’avais reçu un violent coup de masse d’armes sur le chef. J’en restai coi et tout dépité. En voyant mon visage chafouin et mon regard triste, l’écuyer se méprit sur mes sentiments. Je me gardai de le détromper.
« Soyez assuré, messire Brachet, que damoiselle de Guirande est en sécurité chez les moniales. Elle est très pieuse et coutumière de ce genre de retraite. Vous comprendrez pourquoi lorsque vous la verrez. La connaissez-vous, Messire Bertrand ? Ne l’avez-vous point déjà vue ?
— Et que devrai-je comprendre, messire de Puycalvet, lui répondis-je sans aménité, envisageant presque de lui saisir le col.
— Je regrette de ne pouvoir vous répondre. Les ordres de son tuteur, le baron de Beynac, sont formels. Nous lui sommes fidèles et, s’il est vrai que nous vous obéirons en tout autre point, nous garderons ce secret, sauf à en être déliés par icelui en personne.
« Mais, soyez quiet : vous n’êtes point responsable de sa sauvegarde puisque Isabeau de Guirande a quitté le château sous bonne compagnie, bien avant que l’epydemie de Mal noir ne sévisse.
— Or donc, conduisez-moi auprès de dame Éléonore de Guirande de ce pas.
— Volontiers, messire, mais je crains qu’elle ne puisse vous recevoir. Elle nous a fait savoir par l’une de ses servantes qu’elle était indisposée ce soir. Une forte fièvre-migraine. Se doutant de l’hommage que vous ne manqueriez pas de lui rendre dès votre arrivée, elle vous prie de bien vouloir patienter jusqu’à demain. Elle vous recevra en fin de matinée, avant le dîner. »
Le baron, le baron ! Décidément, il ne me lâchait pas d’une semelle. Et voilà maintenant que la courtoisie m’obligeait à me plier aux caprices de la baronne. La fièvre-migraine n’était qu’un méchant prétexte pour retarder l’entrevue musclée que je m’apprêtais à avoir avec elle.
« Où souhaitez-vous loger, messire Brachet ? me demanda l’écuyer.
— Nous coucherons dès ce soir, mon sergent d’armes et moi, sur deux simples paillasses bourrées de paille fraîche et de bruyère, devant la porte de dame Éléonore. Et ce, jusqu’à l’arrivée du baron de Beynac.
— En travers de la porte ? Vous n’y trouverez point grand confort,
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