La Marquis de Loc-Ronan
heure ! cria Brutus tandis que la joie rayonnait sur le visage de ses amis.
– Eh bien ! reprit le gentilhomme toujours impassible, nous allons payer… mais pas en argent.
– Je t’ai dit que nous ne voulions pas d’assignats.
– Je ne t’en parle pas non plus.
– De quoi parles-tu alors ?
– D’un bon avis que je vais vous donner.
– C’est une monnaie qui n’a pas cours.
– Peut-être. Écoute-moi seulement.
Et Boishardy se leva à son tour.
– Vous connaissez les noms des chefs de l’armée royaliste, n’est-ce pas ? demanda-t-il en haussant la voix.
– Parbleu ! répondit Brutus, j’ai le signalement de ces brigands dans ma poche.
– Vous savez que leur tête est mise à prix ?
– Oui.
– Combien Carrier estime-t-il une tête de chef ?
– Trois mille livres.
– Voulez-vous les gagner ?
– Tu connais un chouan ? fit Brutus en s’adoucissant subitement. Tu peux nous le livrer ?
– Oui.
– Quand cela ?
– Ce soir même.
– Loin d’ici ?
– Tout près.
– Et comment le nommes-tu ?
– Boishardy !
– Tu nous le livreras ?
– Je vous le jure !
– Si tu fais cela, je passe la rançon pour moitié.
– Bah ! tu n’en parleras même plus, ajouta Marcof ; car nous t’en livrerons deux au lieu d’un.
– Comment s’appelle le second ?
– Marcof le Malouin.
– Celui qui nous a enlevé une partie des prisonniers que les soldats nous amenaient de Saint-Nazaire ?
– Lui-même.
– Oh ! s’écria Brutus, Carrier a dit que s’il tenait celui-là, il donnerait deux mille livres de plus.
– Et il fera bien, car il en vaut la peine ! répondit le marin. Marcof a dit qu’il tuerait Carrier et qu’il ferait pendre par les pieds au bout des vergues de son navire tous les misérables qui composent la compagnie Marat. Il a dit que les sans-culottes comme toi et tes amis étaient des galériens en rupture de ban. Il a dit qu’il égorgerait à son tour les égorgeurs de Nantes. Et tout ce qu’il dit, il a l’habitude de le faire. Ah ! continua Marcof en donnant enfin libre cours à sa fureur, ah ! vous avez pensé que nous étions des négociants faciles à rançonner ! Ah ! vous avez supposé que sept bandits de votre espèce, sept misérables tirés de la fange des égouts sanglants feraient reculer trois hommes de cœur ! Nous vous avons promis de vous livrer deux chefs royalistes. Eh bien ! nous vous les livrons. À vous à les prendre maintenant ! Voici M. de Boishardy, et moi je suis celui qui ai défait vos bandes sur la route de Saint-Nazaire, celui à propos duquel Carrier augmente le prix du sang ; je suis Marcof le Malouin ! Vive le roi !
– Vive le roi ! répétèrent Boishardy et Keinec.
Un moment d’hésitation suivit ces paroles. Les sans-culottes, stupéfiés de l’audace des chouans, reculèrent. Mais, réfléchissant bientôt qu’ils étaient sept contre trois, ils mirent le sabre à la main. Quelques-uns étaient armés de piques. D’autres préparaient leurs pistolets. Brutus, toujours entre la porte de sortie et les hommes qui emplissaient la salle, demeurait indécis. Keinec bondit sur lui et, le saisissant à la gorge, l’envoya rouler sous la table.
– Tu m’appartiens ! cria le jeune homme en brandissant son arme, et j’ai fait vœu de laver ma hache rougie dans le sang de tes victimes.
Ce fut le signal de la mêlée. Les sans-culottes, comprenant que c’était un combat mortel que celui qui allait se livrer, s’élancèrent les premiers. Les misérables ignoraient à quels ennemis ils avaient affaire.
Marcof et Boishardy levèrent leurs bras armés, et deux d’entre eux tombèrent sans pousser un cri, tant le coup qui les frappa les atteignit rapidement. La lutte devenait presque égale. Alors, ce qui se passa dans cette salle d’auberge fut quelque chose d’horrible et d’indescriptible. Les sans-culottes se battaient avec la rage du désespoir. Les trois chouans attaquaient, ivres de vengeance et de colère. Les cris et le choc des armes, le bruit des meubles brisés, celui des corps tombant lourdement sur le sol, le râle des mourants, tout cela formait un vacarme effrayant, rendu plus lugubre encore par le silence qui régnait au dehors.
Le combat se livrait à l’arme blanche. Deux coups de pistolet avaient seuls été tirés sans atteindre personne. Boishardy, Marcof et Keinec ne se servaient que de leur hache d’abordage. Ils
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