La Marquis de Loc-Ronan
rugissements d’indignation ; menaces de mort, promesses de tortures, serments de vengeance, de meurtre et de carnage, partaient de tous côtés en une seule et même explosion. Tous, d’un même mouvement, se précipitèrent sur leurs armes. En un clin d’œil les satellites de Carrier furent prêts à marcher, les uns armés de piques et de pistolets, les autres de sabres et de fusils de munition. Bref, il fut décidé sur l’heure qu’une expédition nocturne allait avoir lieu contre les brigands royalistes, sous le commandement du citoyen Pinard, qui se réservait ainsi non seulement le mérite de l’initiative, mais encore celui d’avoir mené à bonne fin une affaire aussi importante.
D’une part, Pinard allait satisfaire sa haine contre Marcof et Keinec ; de l’autre, il allait d’un seul coup s’élever au-dessus des Grandmaison et des Chaux, de ceux enfin qui contre-balançaient son influence auprès du proconsul. La capture des chefs royalistes le faisait le second dans Nantes. Aussi son œil fauve lançait-il des éclairs de joie féroce, et, voulant terminer par une péroraison digne de son brillant exorde :
– Sans-culottes ! s’écria-t-il, braves patriotes épurés, montrez une fois encore que vous êtes la force de la République et que vous seuls êtes la véritable barrière entre la nation et les gueux qui veulent la perdre ! À vous l’honneur de laver avec le sang des brigands la tache qu’ils ont osé faire au sol républicain en le foulant sous leurs pieds indignes ! À vous la gloire d’écraser ces serpents qui se sont glissés dans notre sein ! Sans-culottes ! la patrie est en danger ! Aux armes et vive la nation !
– Vive la nation ! hurla l’auditoire.
– En avant ! répondit Pinard qui comprit que l’exaltation avait atteint son apogée.
Ils sortirent en masse confuse du cabaret. Arrivés sur la place, Pinard les fit mettre en rangs et prit la tête en recommandant le plus grand silence. Les sans-culottes, y compris leur chef, étaient au nombre de vingt-quatre ; c’était juste huit hommes que chacun des royalistes allait avoir à combattre, en supposant que Keinec pût arriver à temps pour prêter à ses chefs le secours de son bras. La troupe prit le chemin qu’avaient parcouru Brutus et ses compagnons, et se dirigea en bon ordre vers le cabaret isolé.
XIX – LION ET TIGRE
Boishardy et Marcof étaient demeurés dans la salle basse, l’oreille au guet, et attendant toujours l’arrivée de Diégo. Plus d’une demi-heure s’était écoulée depuis le départ de Keinec.
– Tonnerre ! s’écria le marin avec violence. Ce Fougueray ne viendra pas !
– Je vous avais dit que le drôle flairerait ce qu’il aurait trouvé, répondit Boishardy.
– Et Keinec ?
– Je ne comprends pas le retard qu’il met à revenir.
– Lui serait-il arrivé malheur ?
– Cordieu ! si je le savais, je braverais tout pour secourir ce gars qui nous a si dignement secondés !
– Écoutez Boishardy ! il me semble entendre du bruit au dehors.
– Vous vous trompez, mon cher, ce sont les murmures du fleuve qui vous arrivent aux oreilles, et le vent du nord qui secoue les portes.
– Vous avez raison.
– Voici la lampe qui s’éteint, fit observer Boishardy.
– C’est vrai ; il n’y a plus d’huile.
– Nous ne pouvons pas rester ici sans lumière !
– Qu’importe !
– Si nous étions découverts, la position ne serait pas tenable !
– Eh bien ! sortons alors.
– Soit. Nous demeurerons sur le seuil de la porte, et nous attendrons Keinec.
Boishardy et Marcof se dirigèrent vers la porte qui donnait sur la cour, l’ouvrirent et se trouvèrent en plein air. Le marin se baissa vers la terre.
– Je vous répète, Boishardy, que j’entends quelque chose.
– Un galop de chevaux ?
– Non.
– Des pas d’hommes ?
– Non plus.
– Qu’entendez-vous donc alors ?
– Je ne sais… quelque chose de confus que je ne puis définir.
– Allons sur le quai.
Les deux hommes traversèrent la cour et gagnèrent l’ouverture située sur la rive du fleuve. L’obscurité était profonde et rendue plus épaisse encore par le brouillard qui s’élevait de la Loire, et qui, couvrant le faubourg, interposait son opacité entre les regards des deux amis et l’horizon qu’ils s’efforçaient d’interroger.
Le froid, dont la bise soufflant du nord augmentait l’intensité, était devenu très vif. De
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