La Marquise de Pompadour
la larme à l’œil.
– C’est un peu de vin qui lui sort des yeux, pensa-t-elle.
La Lebon, vêtue d’une robe de soie, fort cérémonieuse et fort imposante, fit son entrée, et tout de suite :
– Voulez-vous, madame, prendre la peine de vous asseoir à cette table ?
Jeanne prit place à l’endroit qu’on lui indiquait. La tireuse de cartes s’assit en face d’elle.
Elle avait une physionomie grave et assez douce.
Elle ne mettait dans ses attitudes que juste ce qu’il fallait de mystère pour émouvoir ses visiteurs, mais pas assez pour les effrayer : c’était une cartomancienne de bonne compagnie.
– Que désirez-vous savoir ? demanda-t-elle à Jeanne en se mettant à battre les cartes.
– Tout ! répondit Jeanne.
– Donc, le passé, le présent et l’avenir… Je vais vous dire les trois, fit la Lebon avec une admirable simplicité qui vraiment était du grand art… comme si rien n’eût été plus simple et plus facile !
En même temps, elle étala les cartes sur la table, et reprit :
– Voulez-vous que nous commencions par le passé, par l’avenir, ou par le présent ?
– Voyons d’abord le passé, fit Jeanne en riant, puis nous suivrons après l’ordre chronologique.
Jeanne riait, montrant les perles nacrées de ses petites dents… très amusée, très intriguée… Mais tout à coup le rire se figea sur ses lèvres, et elle pâlit…
En effet, la Lebon, – peut-être pour frapper un grand coup –, venait d’abattre les cartes, et d’une voix grave, solennelle, significative, elle disait :
– Le roi, madame !… Vous avez un roi dans votre jeu !…
– Le roi ! murmura faiblement Jeanne.
– Voyez vous-même, madame !… Je dis que vous avez un roi dans votre jeu, et il est figuré par la carte que voici… Malheureusement je ne puis vous dire quel est ce roi… s’il commande à un grand royaume ou si c’est un prince de second rang… mais, sûrement, cette carte est la plus puissante qui soit, et c’est la première fois que je la tire ainsi du premier coup, depuis vingt ans que je consulte les cartes…
Jeanne demeurait stupéfaite et agitée…
– Ainsi, dit-elle, vous ne savez pas de quel roi il s’agit ?
– Non, madame… dit sérieusement la Lebon. Cette assurance formelle rassura un peu Jeanne qui reprit :
– Eh bien, comme je ne le sais pas plus que vous, veuillez continuer… la suite nous l’apprendra peut-être…
– J’en doute, fit la Lebon en manipulant les cartes.
Et elle annonça au fur et à mesure qu’elle les abattait :
– Dans le passé, madame, je vois des larmes dans vos jolis yeux… Que se passe-t-il ?… Ah ! voici… le roi dont il s’agit est malade… vous pleurez… le voici guéri… oh ! mais vous pleurez encore ?… Voyons, veuillez couper de la main gauche, et nous allons savoir d’où viennent ces larmes…
Jeanne obéit d’une main tremblante.
Ce qu’elle entendait lui paraissait tenir du prodige.
– Vous avez pleuré, reprit la tireuse de cartes, parce que vous avez eu peur de ne pas être aimée du roi…
Jeanne poussa un léger cri étouffé.
– Et puis, continua la Lebon, je vois un mariage… quelqu’un vous force à ce mariage… l’homme que vous devez épouser est pourtant un digne gentilhomme en qui vous devriez avoir toute confiance… mais vous le haïssez…
– Passons au présent ! fit Jeanne en pâlissant.
– Le présent, dit la Lebon après avoir manipulé les cartes, est plus gai que le passé… Vous aimez… et vous êtes aimée… vous en êtes sûre… on vous en a fait l’aveu… Voulez-vous, madame, me faire l’honneur de me dire si je me trompe, ou si je suis bien sur la voie… si je me trompais, il faudrait employer un autre jeu…
– Non, non ! fit vivement Jeanne… peu importe, d’ailleurs, que vous vous trompiez…
– Alors, il nous reste à chercher l’avenir ?…
– Oui, dites-moi l’avenir…
Et plus bas, en elle-même, elle répéta, profondément troublée :
– L’avenir !… Heur ou malheur ?…
A ce moment, la pendule du salon sonna la demie de neuf heures. Au dehors, Jeanne entendit le bruit d’un carrosse qui s’arrêtait sous les fenêtres de madame Lebon.
La tireuse de cartes, elle aussi, avait entendu ce bruit.
Elle sourit imperceptiblement, tandis que Jeanne suivait d’un regard anxieux ses mains qui battaient et rebattaient les cartes…
La Lebon reprit, au bout de quelques minutes,
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