La Marquise de Pompadour
pendant lesquelles elle parut s’absorber dans un profond calcul :
– Si le passé est plein de larmes et le présent plein de gaieté, l’avenir, madame, est plein de magnificence et de rayonnement. Le roi vous aime… J’entends le roi signalé par les cartes… le roi vous attend !…
– Le roi m’attend ! murmura Jeanne éperdue.
– C’est ce que disent les cartes, madame… Moi, je ne sais pas… je ne fais que répéter… et les cartes me disent que vous devenez presque une reine…
– Assez, madame ! dit Jeanne en se levant d’un ton de souveraine dignité.
La tireuse de cartes vit qu’elle avait été trop loin. Une inquiétude visible se répandit sur son visage.
– Madame, murmura-t-elle, si je vous ai offensée, je vous supplie de vous rappeler plus tard que je n’y ai mis aucun intention maligne… Vous m’avez demandé de vous dire l’avenir… je vous l’ai dit tel qu’il est indiqué, rigoureusement, et ce n’est pas ma faute si…
– Rassurez-vous, madame Lebon, fit Jeanne, je ne suis nullement offensée…
Elle demeura une minute pensive.
– Et, reprit-elle en hésitant, vous croyez vraiment que vos cartes disent la vérité ?…
– Aussi vrai que vous êtes ici devant moi, madame ! J’ai eu des exemples si nombreux et si frappants que je suis bien obligée de croire !… Et d’ailleurs, ajouta la tireuse de cartes, exercerais-je cet art presque divin, si je le savais mensonger ?…
Jeanne, pour cacher son trouble, tira sa bourse et interrogea la Lebon d’un regard.
La cartomancienne faisait généralement payer très cher ses consultations : c’était cinq louis, quelquefois dix, et parfois même davantage, selon la situation des crédules et naïfs consultants.
Mais, cette fois, elle avait peut-être jugé qu’il ne s’agissait plus de louis. Lorsqu’elle vit Jeanne sortir sa bourse, elle eut un geste discret, et, esquissant une belle révérence :
– Madame, dit-elle, ne me gâtez pas ma soirée… je suis trop heureuse de vous avoir reçue dans mon modeste logis, et j’en garderai un impérissable souvenir : c’est là tout le paiement que je veux avoir de vous…
– J’enverrai un objet d’art à cette bonne femme, songea M me d’Etioles. Merci, madame, reprit-elle à haute voix. Croyez que, de mon côté, je garderai un charmant souvenir de ma visite chez vous… Mais où sont mes deux cavaliers ?…
– Ils vous attendent sans doute dans l’antichambre…
En effet, Noé Poisson et Crébillon étaient là ; ils étaient descendus du grenier lorsqu’ils avaient entendu le carrosse s’arrêter sous les fenêtres. Jeanne remercia encore la Lebon qui se confondait en révérences, puis tous les trois sortirent et descendirent l’escalier, – Jeanne en tête.
En arrivant à la porte de la maison, elle vit le carrosse qui s’était rangé tout contre l’entrée…
La portière était ouverte.
Jeanne recula vivement en poussant un léger cri. Au même instant, elle se sentit saisie par les deux bras et poussée vers le carrosse.
– A moi ! à moi ! cria-t-elle affolée.
Dans la même seconde, elle fut poussée dans le carrosse dont la portière se referma aussitôt…
– Fouette ! jeta une voix.
Le carrosse, aussitôt, s’ébranla et s’élança au grand trot de ses deux chevaux.
Devant la maison, Noé Poisson et Crébillon s’étaient arrêtés, un peu pâles…
– La voilà sauvée ! dit Poisson.
– Qui sait ?… murmura Crébillon.
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Chapitre 25 LA ROUTE DE VERSAILLES
C e soir-là, le chevalier d’Assas, vers la nuit tombante, sortit de Paris à cheval, après s’être muni de sa rapière de bataille et de ses pistolets d’arçon.
Lorsqu’il atteignit la route de Versailles, un groupe de six cavaliers, qui s’étaient dissimulés dans la cour d’une auberge isolée, se mit à le suivre à deux cents pas.
Ces cavaliers, c’étaient du Barry et ses acolytes qui étaient là pour prêter main-forte à d’Assas en cas de besoin. Ils étaient masqués et s’enveloppaient dans des manteaux qui couvraient par surcroît de précaution tout ce que le masque n’avait pu cacher.
– Me voilà obligé de protéger cet homme que je hais ! songeait du Barry. Les exigences de M. Jacques deviennent intolérables. Où s’arrêteront-elles ! Ah ! si seulement une bonne balle égarée pouvait…
Du Barry acheva d’un geste la pensée de mort qui traversait son cerveau, et il jeta un
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