La Marquise de Pompadour
manteau, essuya pieusement son épée couverte de poussière.
Et tous ces préparatifs, pour courir rue des Bons-Enfants !…
Non pas pour la revoir,
elle,
mais pour rôder autour d’une maison silencieuse, fixer dans l’obscurité une fenêtre fermée et peut-être, qui savait ! apercevoir une ombre qui se reflétait sur des rideaux.
Prêt enfin, le cœur battant, il allait éteindre les deux flambeaux qui brûlaient sur la cheminée.
A cette seconde, on frappa à sa porte.
Il ouvrit, et, avec un tressaillement, recula d’un pas.
Dans l’ombre du couloir, se profilait la hautaine silhouette du comte du Barry.
Le chevalier frémit.
Il tombait du ciel où son rêve d’amour l’avait haussé d’une envolée.
Cette figure lui apparut comme un sinistre présage. Quelle figure ! Le pli vertical du front volontaire, les sourcils touffus et noirs, la flamme du regard ironique, le sourire des lèvres crispées, tout, dans ce visage, exprimait les forces du Mal.
Se remettant de cette rapide émotion, le chevalier ne songea plus qu’à exercer les devoirs de cette politesse raffinée toute puissante alors.
Il se découvrit, s’inclina gracieusement et dit :
– Soyez le bienvenu, monsieur le comte.
Du Barry entra, le chapeau à la main, et répondit :
– Je suis vraiment confus de vous déranger à pareille heure, monsieur le chevalier.
– Et moi, je suis désolé d’être forcé de vous recevoir dans une mauvaise chambre d’auberge…
Les deux adversaires se saluèrent.
Puis le chevalier reprit :
– Me ferez-vous la grâce de boire avec moi à la santé du roi ?
– Tout l’honneur sera pour moi.
Alors le comte prit place dans un fauteuil que lui désignait d’Assas, et celui-ci, ayant appelé un domestique, ordonna qu’on lui montât une bouteille de vin d’Espagne.
Quelques instants plus tard, ils étaient assis l’un devant l’autre, ayant entre eux un guéridon qui supportait deux verres et un flacon de Xérès.
Le chevalier remplit les verres.
Ils les choquèrent légèrement, avec une sorte de gravité, et prononcèrent ensemble :
– A la santé de Sa Majesté…
Formule neutre qui les dispensait de se porter leur santé réciproque.
– Vous le voyez
,
dit alors le comte, ma première visite est pour vous. Le roi est rentré à Paris à huit heures, car il a demain matin à travailler avec M. d’Argenson. Et je n’ai même pas pris le temps de passer chez moi, si grande était ma hâte de vous faire mon compliment.
– Compliment que je suis prêt à recevoir et à vous rendre, dit le chevalier.
Du Barry s’inclina.
Et l’entretien se continua quelques minutes, frôlant tous les sujets, excepté celui qui les préoccupait, avec l’admirable aisance de la société de ce temps, apogée des grandes galanteries d’esprit.
Enfin, le comte du Barry se leva pour prendre congé.
Et ce fut seulement alors qu’il aborda l’affaire qui l’avait amené.
– Chevalier, dit-il, j’ai l’intention de faire demain matin une petite partie de plaisir, et j’ai éprouvé une telle joie en votre conversation, que je serais charmé si vouliez bien consentir à m’accompagner.
– Comment donc, comte ! Mais c’est-à-dire que pour avoir l’honneur de vous rencontrer, je ferais volontiers à nouveau le voyage de huit jours qui vient de m’amener à Paris.
– A merveille ! D’autant plus que je n’abuserai pas à ce point de votre empressement ; je compte tout simplement me rendre demain matin au Cours de la Reine, si toutefois l’endroit vous plaît…
– Va pour le Cours de la Reine…
– Il y a là, sur la berge de la Seine, une délicieuse et solitaire promenade avoisinant le Port aux pierres…
– Va pour le Port aux pierres… J’y serai à huit heures.
– Huit heures ! L’heure est admirable, chevalier, et je vous tiens pour un charmant compagnon.
Les deux adversaires s’inclinèrent une dernière fois l’un devant l’autre ; puis le comte du Barry s’éloigna, tandis que d’Assas, refermant sa porte, reprenait place dans son fauteuil, en songeant :
– La sinistre figure !… Il me semble que la main du malheur vient de s’abattre sur moi !… Il me semble que c’en est fait de ce beau rêve que je caressais, et que la rencontre de cet homme me sera fatale !… Allons, allons !… Est-ce que je vais me mettre à avoir peur !…
Il se leva, se secoua, et comme il cherchait un air à fredonner, brusquement,
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