La Marquise de Pompadour
dites ?
– En cherchant bien dans tous les tiroirs de ce meuble, on finirait par rassembler une centaine de livres : la dixième partie de ce que je dois au dernier de mes domestiques.
– Très bien. En ce cas, nous allons causer, monsieur le comte.
– Causons, monsieur Jacques !…
En parlant ainsi, le comte était effroyable à voir, avec ses lèvres crispées, son teint blême, ses traits convulsés. Mais, avec son sourire et sa mine paisible, M. Jacques était peut-être plus effroyable encore…
Alors, M. Jacques « causa ».
Longuement, à voix basse, il parla.
Le comte rougissait, pâlissait. Parfois il secouait violemment la tête.
Mais M. Jacques revenait à la charge, avec un entêtement doux, une obstination paisible.
Le jour baissait lorsque M. Jacques tira un papier de sa poche, l’étala sur une table, et, d’une voix qui, soudain, se fit dure, autoritaire, glaciale, prononça :
– Signez-vous ?
Le comte jeta autour de lui un regard éperdu. Sans doute il eut à cet instant cette révolte, cette hésitation suprême que durent connaître les damnés qui, dans les légendes du vieux temps, signaient le pacte satanique.
Mais sans doute aussi l’esprit du mal était sur lui…
Il signa !…
M. Jacques plia méthodiquement le papier qu’il mit dans sa poche.
Il s’inclina gravement, et, dans les ténèbres qui s’épaississaient, s’éloigna sans bruit…
A partir de ce moment, le comte du Barry ne manqua jamais d’argent : du moins en avait-il assez pour faire figure à la cour et soutenir dignement son rang. Mais il était facile de voir que cette existence relativement modérée lui pesait et qu’il rongeait son frein en attendant…
En attendant quoi ?… Lui seul eût pu le dire, – et M. Jacques !
Ajoutons que son caractère se fit plus sombre de jour en jour, et que souvent, au milieu des orgies, il lui arrivait de tressaillir tout à coup et de pâlir sans cause apparente.
Le comte continua à demeurer dans le vieil hôtel du quai d’Anjou où il avait pour tout domestique un valet de chambre et un palefrenier qui prenait soin de ses chevaux, fort à leur aise dans les écuries qui jadis en avaient contenu une vingtaine.
Seulement il avait fait aménager trois ou quatre pièces de l’aile gauche qui lui servaient d’appartement ; le reste était abandonné à la poussière et aux toiles d’araignée.
C’est dans cet appartement que du Barry avait été ramené par le comte de Saint-Germain, son témoin, le jour de son duel avec le chevalier d’Assas.
Saint-Germain n’avait mandé aucun chirurgien : il avait lui-même lavé, sondé, pansé et bandé la plaie à l’orifice de laquelle il avait étalé une couche épaisse d’un onguent balsamique.
– Me voilà au lit pour huit jours, dit alors du Barry avec une sorte de rage ; et cela dans un moment où je donnerais bien huit ans de ma vie pour être libre !…
Saint Germain sourit.
– Dans quelques heures, dit-il, vous serez sur pied.
– Mordieu !… Dites-vous vrai !
– Jamais je ne mens, cher comte !… Et puis, voulez-vous que je vous dise ? je désire autant que vous-même que vous puissiez aller et venir… Ne vous étonnez pas… c’est une idée à moi… Donc, dès ce soir, vous pourrez marcher très raisonnablement ; dans trois jours, vous pourrez monter à cheval ; dans six, vous serez aussi fort de votre bras blessé que de votre bras indemne…
– C’est admirable ! Je sens déjà l’effet rafraîchissant et réparateur de votre baume. Quel merveilleux chirurgien vous êtes !…
Saint-Germain haussa les épaules.
– Ce n’est pas moi qui ai composé ce baume, dit-il ; je n’y ai donc aucun mérite. Je le tiens de Nostradamus qui, lui, était vraiment un médecin transcendant. Il le composa à la prière de Catherine de Médicis ; cette pauvre Catherine avait toujours peur de quelque coup de poignard, elle qui jouait ou faisait si bien jouer de la dague. Nostradamus travailla cinq ans à ce baume, et le soir où il en trouva la synthèse définitive, il pleura de joie, leva les bras au ciel et s’écria qu’il touchait enfin à l’Absolu…
– Ah çà, comte ! fit du Barry en riant comme il riait dans ses grandes gaîtés, c’est-à-dire du bout des dents ; ah çà, on dirait qu’à moi aussi vous voulez faire croire que vous avez connu Nostradamus !…
– Je ne veux rien vous faire croire, dit froidement Saint-Germain ;
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