La Marquise de Pompadour
c’est vous qui voulez à toute force me prendre pour un médecin de génie en me faisant honneur de la composition de ce baume. Et comme jamais je ne mens, la vérité m’oblige à confesser que je le tiens de Nostradamus, tout simplement.
– Tout simplement ! murmura du Barry qui ne put s’empêcher de frissonner.
Et, jetant un ardent regard au comte de Saint-Germain, il reprit :
– Dites-moi, comte, parmi tant de choses que vous savez… et notamment au sujet de Nostradamus… pouvez-vous me dire si… réellement… il a trouvé…
– Quoi donc ? sourit Saint-Germain en faisant chatoyer une monstrueuse émeraude qu’il portait au doigt.
– La pierre philosophale !…
– Non certes, il ne l’a pas trouvée… puisqu’il est mort.
Du Barry eut un geste d’étonnement.
– Sans doute ! continua Saint-Germain, s’il eût trouvé la pierre philosophale, il eût du même coup trouvé l’élixir d’éternité que le vulgaire, dans sa terreur instinctive du mot « éternité », appelle élixir de longue vie. Tout est dans tout, mon cher comte, et l’Absolu est
un.
Sans quoi il ne serait pas l’Absolu. Donc, le pouvoir de créer de l’or et le pouvoir de créer de la vie ne sont qu’un seul et même pouvoir.
– Mais vous, comte, reprit du Barry d’une voix haletante, emporté sur les ailes du mystère vers l’irréalisable féerie ; vous qui, dit on, avez étudié ces sublimes questions… vous qui avez sondé l’insondable… répondez-moi… que pensez vous ?… que savez-vous ?… peut-on trouver la pierre philosophale ?…
– Pourquoi pas ? dit négligemment Saint Germain. Je vous l’ai dit : tout est dans tout. Le primordial principe de la création se cache dans les replis les plus secrets de la nature. Mais si les précautions de la nature ont été infinies pour cacher son secret, l’audace de l’intelligence ne peut-elle être infinie pour le découvrir ? Eh quoi ! ce que peut accomplir la chaleur du soleil dans les entrailles du sol, l’alchimiste ne pourrait-il le réaliser dans son creuset, alors qu’il a à sa disposition les ressources toutes puissantes du calcul et de l’imagination !
– Oh ! haleta le blessé dont les yeux flamboyèrent, posséder ce secret ! Etre riche ! Riche à l’infini !…
– Oui, n’est-ce pas ? Car la richesse infinie, c’est l’infinie jouissance. C’est le droit de concevoir l’irréalisable et de le réaliser sans effort. Que l’imagination la plus fougueuse ouvre toutes grandes ses ailes et s’élance éperdument dans les espaces du rêve ! qu’elle conçoive des plaisirs inaccessibles à l’humanité ! qu’elle recherche des raffinements devant lesquels l’homme recule épouvanté, désespéré de son impuissance ! Celui qui détient la pierre philosophale se fera un jeu de ces plaisirs et de ces raffinements. Tout est à lui. Il n’a qu’à prendre la peine de souhaiter, de désirer ! Puissance, honneur, gloire, amour, tout lui appartient. Les orgies fabuleuses, il les renouvelle avec dédain ; les amours impossibles, il les réalise dès qu’il le veut… Et notez, comte, que la soif de plaisir peut être inextinguible chez cet homme, puisqu’il est éternel, puisque les excès qui tuent les autres ne peuvent l’user, lui !…
Saint-Germain se leva, s’approcha du comte du Barry qui frémissait et dont le front s’inondait de sueur.
– Cet homme, continua-t-il, goûte des jouissances infinies. D’abord, il se rue aux orgies, aux plaisirs des sens. Dans le premier enchantement de sa découverte, il use la moyenne de plusieurs existence à toucher le fond des joies sensuelles : à lui les mets les plus fabuleusement exquis ! à lui les vins que, dans des serres spéciales, ses raisins seuls peuvent donner ! à lui les femmes les plus splendides de la création ! S’il s’en trouve une sur la surface du globe qui soit la plus belle, c’est celle-là qui sera à lui !…
Du Barry haletait, se tordait sous la parole brûlante qui tombait sur son cerveau comme une lave incandescente.
– Bientôt, reprit Saint-Germain, c’est-à-dire au bout de quelques centaines d’années, il songe à d’autres joies. La gloire le tente : il est Raphaël ou Michel-Ange. La puissance attire sa curiosité : il se fait roi. Plus haut ! Toujours plus haut ! Il finit par concevoir, comprendre et réaliser la jouissance absolue. L’homme de plaisir souffre dans ses passions ;
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