La Marquise de Pompadour
l’artiste de génie souffre dans la création de son œuvre ; le haut dignitaire est soumis au ministre ; le ministre est soumis au roi ; le roi est soumis à cette chose énorme, inconnue, qui s’appelle le peuple ; le peuple est soumis à des légions de maîtres, et, pis encore, soumis au travail… Seul, le détenteur du sublime secret, celui qui a accompli le grand œuvre, échappe à l’univers, au peuple, au ministre, au roi, à la mort ! Il est son propre maître, et dans l’exercice de cette liberté sans limites éprouve à chaque seconde qui s’écoule la jouissance sans limites… Alors, du haut sommet où il s’est placé d’un coup d’aile, il contemple le vaste grouillement de l’humanité, écoute la musique infernale des cris de joie et des clameurs de désespoir, et laisse tomber un regard de pitié sur les malheureux qui se tuent à conquérir quelques pauvres millions et, pour arriver à cet humble but, en sont réduits à vendre jusqu’à leur nom !…
Du Barry poussa un cri de terreur. Il se souleva, et bouleversé, hagard, d’une voix rauque, il râla :
– Que voulez-vous dire ? quels sont ces hommes dont vous avez pitié ?… Parlez ! parlez !… en connaissez-vous ?…
– Moi ? Non !… Pourquoi voulez-vous que je connaisse de tels misérables ?…
– Vous disiez…
– Je parlais des jouissances de l’homme qui possède la pierre philosophale, parce que vous m’en avez parlé le premier. N’attachez pas d’autre importance à ce que j’ai pu dire…
– Mais… n’êtes-vous pas… justement… cet homme ?
– Vous êtes étranger, comte. Et je suppose que votre blessure y est pour quelque chose. Eh ! ne peut-on rêver tout haut ? Allons, calmez-vous… sans quoi, vous ne pourrez sortir ce soir…
– Qui vous a dit ? s’écria le comte du Barry épouvanté.
– Vous-même ! fit Saint-Germain en éclatant de rire. Adieu, comte. Je vous verrai demain ; ne vous inquiétez pas de votre blessure, je m’en charge.
Ceci fut dit si cordialement, d’une voix si naturelle, que les soupçons de du Barry se dissipèrent en partie. Demeuré seul, le blessé sommeilla ou fit semblant de sommeiller jusqu’à six heures du soir.
A ce moment, il appela son valet de chambre.
– Habille-moi, lui dit-il.
– Mais votre blessure, monsieur le comte ! s’écria le serviteur.
– Habille-moi toujours.
Et, à part lui, du Barry murmura :
– Plutôt que de ne pas accompagner le roi ce soir, j’aimerais mieux perdre mon bras droit !… Oh ! qu’y a-t-il donc qui l’attire ainsi ?… Vais-je échouer au port !…
Une fois habillé, il fit quelques pas pour essayer ses forces et constata que, malgré un léger étourdissement, il pourrait fort bien marcher. Un sourire d’ironique satisfaction crispa ses lèvres.
– Tout autre que moi, Sire, serait au lit, songea-t-il. Mais moi, aucune blessure ne peut me retenir quand il s’agit du… service de Votre Majesté… J’espère, ô mon roi, que voilà du dévouement !…
Il s’apprêtait à sortir et déjà son valet de chambre jetait son manteau sur ses épaules, lorsqu’on frappa.
Le domestique alla ouvrir : Le Normant d’Etioles entra.
A la vue de du Barry debout, d’Etioles poussa un cri de joie… vraie ou feinte, et s’écria :
– Mes félicitations, très cher !… Comment ! debout ? habillé ?… Je craignais vraiment que cette blessure…
– Une piqûre d’épingle ! fit du Barry dont les sourcils, un instant, s’étaient contractés.
– Ainsi, vous pourrez demain assister à mon mariage ?… Ah ! cher, vous me l’avez promis… Je veux toute la cour pour témoin de mon bonheur… et qu’est-ce que la cour sans le comte du Barry !…
– Je ne sais vraiment si je pourrai…
– Si fait ! si fait ! Vous pourrez, cher ami !… Il faut que vous assistiez à ce spectacle unique, merveilleux, invraisemblable : le pauvre petit d’Etioles conduisant à l’autel la plus radieuse beauté de Paris…
– Est-elle vraiment si belle ?…
– Vous verrez : un pur chef-d’œuvre. Vous viendrez, n’est-ce pas ?
– Je crois décidément que je n’en aurai pas la force, dit du Barry.
– Pourtant, je vous vois gaillard et sur le point de sortir.
– Ce soir, je fais un grand effort parce que Sa Majesté m’attend.
– Ah ! ah ! Le roi vous attend ? fit sourdement d’Etioles.
– Oui, cher ami !
Les deux amis se
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