La Marquise de Pompadour
Puis, plaçant le flacon de manière qu’il continuât à en ressentir les effluves, elle courut chercher de l’eau, rafraîchit le front et les tempes du chevalier…
Pendant une demi-heure, penchée sur cet agonisant, elle lutta contre la mort. Vaillante, obstinée, silencieuse, variant de minute en minute les soins tout instinctifs qu’elle imaginait, elle procéda d’intuition avec toute la souple habileté qu’eût déployée un grand médecin.
Cette vierge ne songea pas un instant à s’offenser de cette poitrine d’homme qu’elle avait mise à nu. Elle n’était plus une femme, une jeune fille : elle était l’ange sauveur qui arrache un être à la mort. Pendant ces terribles minutes, elle oublia son propre malheur.
Bientôt, cependant, la respiration du chevalier d’Assas devint moins haletante. Sa figure prit une teinte plus pâle ; la redoutable couleur violacée disparut ; et il parut évident que tout danger de suffocation était écarté.
Une heure se passa encore, pendant laquelle les yeux gardèrent cette effrayante immobilité, cet aspect vitreux qui est le signe de l’anéantissement de l’intelligence.
Puis, peu à peu, la pensée rayonna dans ce regard :
Une pensée de reconnaissance et d’amour !…
Jeanne sourit.
– Vous voilà sauvé, dit-elle. Vous m’entendez, n’est-ce pas ? Vous me comprenez ?…
Les yeux du chevalier, lentement, doucement, se tournèrent vers la main de la jeune fille.
Elle comprit !
Elle posa ses doigts fins sur les lèvres brûlantes, et, dans un effort de l’amour, ces lèvres parvinrent à déposer un baiser sur la main qu’on leur offrait…
Alors l’âme du chevalier se noya dans une sorte d’extase ; sa pensée put mesurer l’énorme fatigue qui enlisait son cerveau ; il comprit qu’il allait s’endormir… sans pouvoir prononcer un mot de remerciement, sans pouvoir exprimer, fût-ce par un souffle, les sentiments qui débordaient de son cœur.
Alors, aussi, par un rapide et violent retour sur elle-même, Jeanne songea que le lendemain, dans quelques heures, elle serait entraînée à l’église et qu’elle appartiendrait à jamais au malfaisant gnome qu’elle haïssait, dont le seul aspect lui causait une insurmontable horreur !…
Et celui qui pouvait la sauver était là, sous ses yeux… impuissant !…
Oh ! il fallait à tout prix réveiller cette torpeur !…
D’Assas fermait les yeux : la réaction naturelle se produisait ; le sommeil s’emparait de lui, invincible, inévitable… non pas ce sommeil qui suit les veilles prolongées et contre lequel on peut encore lutter, mais une sorte d’écrasement de la pensée meurtrie…
– Chevalier, murmura Jeanne, écoutez-moi… par pitié…
D’Assas avait vaguement entendu sans doute. Cet appel à sa pitié galvanisa une seconde son esprit. Il entr’ouvrit les yeux.
Tragique seconde où se décida la destinée de celle qui devait s’appeler la Marquise de Pompadour ! Si le chevalier d’Assas avait pu écouter ! S’il avait pu se lever ! Nul doute qu’il n’eût dans la nuit même provoqué Le Normant d’Etioles ! Nul doute qu’il ne l’eût tué ou obligé à renoncer au mariage ! Et alors qui sait ce qui fût arrivé ! Qui sait si Jeanne, touchée par cet amour si jeune, si pur, si fougueux, n’eût pas uni sa vie à celle du chevalier d’Assas !… Alors, il n’y eût pas eu de marquise de Pompadour ! Alors bien des choses eussent été changées dans le règne de Louis XV !…
Ce n’était donc pas seulement le drame de deux cœurs qui se jouait là, dans ce petit salon trop pimpant, aménagé par le faux goût d’Héloïse Poisson !
C’était une page de l’histoire de la France – et de l’humanité – que le Destin tournait là !…
Haletante, la gorge serrée par l’angoisse, Jeanne se pencha, saisit les deux mains du chevalier d’Assas.
– Vous avez reçu ma lettre, n’est-ce pas ?… Et vous êtes accouru ?… Oh ! merci !… vous m’entendez, n’est-ce pas ?… Par grâce ! Par pitié ! Faites-moi un signe qui me dise que vous me comprenez !…
Un violent effort crispa le charmant visage du chevalier.
Ses paupières se soulevèrent lourdement.
Puis tout, en lui, s’affaissa de nouveau.
– Oh ! râla Jeanne, vous ne m’entendez donc pas !… Chevalier !… Ma lettre ! Rappelez-vous ce que vous dit ma lettre !… Je suis perdue si vous ne me secourez !… Je vais vous dire…
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