La Marquise de Pompadour
un silence étrange pesait sur toute la maison, comme si elle eût été abandonnée. Il n’entendait pas ces craquements de parquet, ces bruits sourds de portes qui s’ouvrent, ces murmures lointains qui constituent la vie d’une maison. Tout était mort !…
A la longue, ce silence devint angoissant.
Que se passait-il ?…
D’Assas voulut le savoir à tout prix. S’étant levé, il constata que sa tête était maintenant dégagée, sauf une lourdeur qui persistait à la tempe. Il se sentit fort, solide, prêt à tout entreprendre, s’il y avait quelque chose à entreprendre !…
Il se dirigea en hésitant vers la porte, l’ouvrit, et vit qu’elle donnait sur un somptueux vestibule où commençait l’escalier qui montait à l’étage supérieur.
A sa grande surprise, et presque à sa terreur, il vit que la grande porte de la rue était ouverte. Il vit les passants aller et venir dans la clarté gaie de la rue. Le tapis du vestibule était parsemé de fleurs, comme s’il y eût eu une fête… Devant le grand portail, un tapis était placé.
Une poignante angoisse étreignit le cœur du chevalier.
Il s’avança dans le vestibule et se hasarda à appeler.
Aussitôt un valet en grande tenue apparut. Cet homme se tenait sur le pas de la porte, dans la rue. En apercevant le chevalier, il s’écria, avec cette familiarité des laquais de grande maison :
– Ah ! Ah ! vous voilà sur pied, mon officier ! Eh bien, tant mieux ! car madame…
– Madame ? interrompit le chevalier.
– Eh ! oui, M me Poisson !
– La mère de…
– De M lle Jeanne… parfaitement, mon gentilhomme !
– Jeanne ! songea d’Assas. Elle s’appelle Jeanne !… Dites-moi, mon ami, ajouta-t-il tout haut, ces dames sont sans doute sorties ?… Je voudrais pourtant leur offrir mes remerciements…
– Tout le monde est à l’église, fit le laquais en secouant la tête.
– A l’église ? murmura le chevalier en frissonnant.
– Oui, tout le monde… depuis monsieur et madame jusqu’au dernier valet, depuis M me du Hausset jusqu’à la dernière fille de chambre… je suis resté seul pour garder l’hôtel… C’est moi le concierge ! termina le laquais en se redressant.
– Quelle église ? balbutia le chevalier en essuyant la sueur froide qui coulait sur son front.
– Saint-Germain, donc !… l’église de la paroisse, Saint-Germain-l’Auxerrois !…
Le chevalier fit un geste de remerciement et sortit, la tête bourdonnante, courant presque.
– Au diable le jeune fou ! pensa le laquais. J’allais lui expliquer le mariage de mademoiselle, ce qui l’eût intéressé à coup sûr, et ce qui m’eût fait, à moi, passer cinq minutes…
– Pourquoi est-elle à l’église ? se demandait d’Assas.
Cette question, il eût été bien simple de la poser au digne concierge. Mais ce mot d’église avait bouleversé le chevalier, et la question s’était étranglée dans sa gorge. Il pressentait un malheur, et jusqu’à la dernière seconde, il voulait garder l’espérance.
A l’église !… ce n’était ni dimanche ni jour de fête…
On va à l’église pour un enterrement… mais non ! il y avait des fleurs plein le vestibule, et le concierge avait un air de fête…
On va aussi à l’église pour un mariage !…
Le chevalier s’arrêta court et devint très pâle. Des gens qui passaient près de lui l’entendirent qui disait presque à haute voix :
– Eh bien, oui, un mariage ! Et puis après ? Pardieu, elle assiste au mariage d’une de ses amies, voilà tout ! Que diable vais-je chercher ? Quelle vraisemblance dans tout ce que j’ai vu et entendu y a-t-il que ce soit son mariage à elle !… Allons donc !…
Il se remit à courir ; et comme il débouchait non loin de l’église, les cloches se mirent à sonner joyeusement ; le grand portail s’ouvrit tout large, laissant passer au dehors des bouffées de la marche triomphale que les orgues attaquaient…
Devant ce portail ouvert, d’Assas demeura pétrifié.
Dans la vague obscurité de l’église, il vit une foule élégante, merveilleux costumes de cette époque qui fut le triomphe du « joli » sur le « beau », gracieux ensemble de broderies, de velours et de satins, couleurs claires, robes à falbalas, jabots de dentelles précieuses, épées de parade à poignées incrustées de diamants, tout un décor théâtral sur le fond lumineux des cierges de l’autel et des
Weitere Kostenlose Bücher