La Marquise de Pompadour
travaillant jour et nuit.
Dès que les maçons sortaient d’une pièce, les peintres l’envahissaient, puis les décorateurs, puis les tapissiers ; en un mois et demi l’hôtel fut transformé : ce fut une merveille. Ce caprice coûta un million au puissant sous-fermier. Mais M. d’Etioles ne s’en inquiéta pas. A cette époque, roi, ministres, traitants, fermiers, tout ce monde jetait l’argent par les fenêtres. Quand les coffres étaient vides, le peuple s’enfonçait d’un nouveau degré dans la misère ; la famine sévissait avec plus d’intensité ; on mourait, – mais on payait : et tout était dit !
Quand l’hôtel fut prêt, Le Normant d’Etioles y jeta une profusion de bibelots d’art, bronzes, statues, porcelaines précieuses, flambeaux aux cuivres ciselés ; des meubles d’une fabuleuse magnificence, – citons le lit de la grande chambre à coucher qui, avec ses Amours sculptés et ses appliques, coûta quatre cent mille francs –, des tableaux de la vieille école arrachés à prix d’or aux collections célèbres ; des vitrines où s’entassèrent les mille créations des manufactures de Saxe.
Une vaste pièce donnant sur la Seine fut exactement disposée comme l’atelier de la rue des Bons-Enfants : mêmes dimensions, mêmes dispositions, même décor ; des meubles identiques y occupèrent les mêmes places ; à coup d’argent, le sous-fermier se procura jusqu’aux moindres bibelots de Chine et du Japon qui garnissaient le célèbre atelier, mais à ce point pareils et si bien placés de la même façon qu’une personne transportée les yeux bandés de la rue des Bons-Enfants au quai des Augustins eût pu demeurer convaincue qu’elle n’avait pas changé de maison. C’était une reproduction parfaite, au point que Jeanne elle-même s’y fût trompée.
Lorsque tout fut terminé, on se trouvait à l’avant-veille du mariage.
D’Etioles, dans la journée, embaucha la domesticité, ne s’en rapportant à personne du soin de choisir femmes de chambre, valets, cochers, cuisiniers.
Dès lors, tout fut prêt pour recevoir l’épousée.
Cet hôtel, en effet, ces transformations, ce luxe inouï, ce faste royal, tout cela, c’était pour Jeanne !…
Ce fut vers cet hôtel qui cessa à cette époque de s’appeler « l’hôtel de Châteauroux » pour porter le nom d’Etioles, ce fut vers cette féerique demeure que la voiture nuptiale emporta, à leur sortie de Saint-Germain-l’Auxerrois, M. de Tournehem, Le Normant d’Etioles et Jeanne évanouie.
Les invités suivaient. Et dans cette foule élégante qui faisait escorte à la fortune du sous-fermier, nul ne songea à commenter l’incident : on supposa que l’émotion avait frappé « cette pauvre petite » et l’on parla surtout des merveilles de la corbeille.
Lorsqu’on arriva à l’hôtel d’Etioles, Jeanne n’était pas encore revenue de sa syncope.
Cette fois encore, ce fut Tournehem qui la prit dans ses bras et la transporta dans un boudoir.
– Non, pas là, mon cher oncle, dit d’Etioles.
Et il ouvrit la porte de la pièce qui était l’exacte reconstitution de l’atelier de Jeanne.
– Je vous laisse ma femme, ajouta-t-il. Ce ne sera rien, j’en suis sûr. Moi, je vais rendre nos devoirs à nos invités.
Si le cœur de Tournehem eût été moins angoissé par les pressentiments qui l’assiégeaient, sans doute il eût trouvé étrange cette attitude d’un si heureux époux qui eût dû se montrer plein d’inquiétude.
D’Etioles disparut, et, comme il l’avait dit, se rendit en effet dans la grande salle des fêtes – salle de réception. Il était souriant, et comme on lui demandait des nouvelles de la jeune mariée, il ordonna à l’orchestre d’attaquer une gavotte. En lui-même il songeait :
– Qu’elle parle maintenant, si elle veut !… Je les tiens tous deux… le père et la fille !…
Armand de Tournehem avait déposé Jeanne sur un canapé. Il était épouvanté – non de l’évanouissement même, mais des causes qui avaient pu le provoquer. Il savait toute la force de caractère, toute la puissance de volonté qui résidaient sous cette enveloppe gracile, fragile en apparence. Non, Jeanne n’avait pu s’évanouir d’une émotion de jeune mariée !
Mais alors, qu’y avait-il ?
– Un mystère que je percerai, murmura ardemment Tournehem. Et alors, malheur à celui qui…
A ce moment, sous ses soins paternels, Jeanne rouvrait les
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