La Marquise de Pompadour
tapisseries dont l’église s’était parée…
Alors, au son des cloches sonnées à toute volée, au rythme majestueux scandé par les orgues, un cortège s’organisait, précédé par un suisse gigantesque, passant dans la haie des invités que courbait, comme un souffle d’harmonie, le même salut aux épousés qui s’avançaient !…
Le chevalier regardait cela, un vague sourire aux lèvres.
Dans cette foule, il cherchait Jeanne, et ses yeux allaient très loin, jusqu’à l’hôtel illuminé.
Soudain, le suisse parut dans la pleine lumière du jour.
Et il s’effaça…
Les épousés furent visibles…
Une légère secousse agita d’Assas. Il s’appuya à un arbre. Quelque chose comme une plainte monta à ses lèvres. Livide, hagard, il tenait ses yeux angoissés sur la belle épousée qui, lente et tremblante, toute pâle dans la magnificence des dentelles, s’avançait vers les voitures, donnant la main à l’époux !
– Jeanne ! râla d’Assas. Jeanne !… Elle !… Je ne rêve pas ! L’atroce réalité est bien là sous mes yeux !… L’aventure est effroyable !… mais que vais-je devenir, moi !… Mais je l’aime ! je l’aime ! oh ! insensé ! insensé !…
Devant la foule rassemblée, il se raidit un instant, chercha à admettre « l’aventure »…
Et son regard, par un violent effort, se détourna de Jeanne, chercha l’époux !…
– Le Normant d’Etioles !
Et il le vit, si laid, si affreux avec son sourire sarcastique, ses yeux mauvais, son front têtu, sa taille déjetée ; il le vit si insolent dans son triomphe, dans la splendeur de son costume semé de perles et de pierreries, – toute une fortune sur un habit ! – il le vit dans une telle hideur mise en valeur par la fragile et si délicate beauté de l’épousée, qu’une colère, une révolte furieuse se déchaînèrent en lui !
Quoi ! c’était là le mari de Jeanne… Quoi ! cet être dont il avait eu pitié !… Quoi ! cette idéale créature s’unissait à ce monstre ! Ah ! sans aucun doute l’immense richesse du monstre avait conquis cette fille ! Une fille ! oui ! Une fille ! Pas de cœur, pas d’âme dans cette poupée ! Elle ne se donnait pas ! Elle se vendait !… Et lui ! lui le pauvre chevalier sans fortune ! lui qui n’avait que son épée et la poésie de ses rêves à offrir !… Il avait osé espérer !… Il avait fait ce doux songe !… Ah ! la chute était terrible !… Il avait cru aimer un ange : il s’était heurté à une fille !… Oh ! mais il allait lui dire, lui crier à la face de tous…
Il fit rapidement trois pas en avant.
Ces trois pas le portèrent en présence des épousés.
Sa gorge se serra ; ses paupières se gonflèrent comme si des larmes allaient en jaillir, mais en réalité ses yeux demeurèrent secs et hagards. Il chercha le regard de Jeanne. Il chercha la parole qui devait traduire son désespoir et sa révolte…
Et dans cette seconde à peine saisissable, il vit que le regard de Jeanne se levait… se perdait… là-bas quelque part ! Jeanne ne le voyait pas ! Jeanne regardait quelqu’un, au loin, derrière lui !…
D’instinct, tout d’une pièce, il se retourna.
Et il vit !…
Sur le large balcon du Louvre, entre deux colonnes, c’était une dizaine de gentilshommes de la cour… et, en avant de ces gentilshommes, quelqu’un qui se penchait, un peu pâle, et regardait Jeanne !… Et ce quelqu’un, c’était Louis XV !…
– Le roi ! balbutia d’Assas éperdu de ce qu’il entrevoyait. Le roi qui, cette nuit, était sous ses fenêtres !…
Avec cette rapidité et cette sûreté de mouvement que les hommes de décision ont dans les moments de crise, il s’effaça, attacha ses yeux sur Jeanne…
L’épousée avait vu le roi !
Ses yeux demeuraient rivés sur le balcon du Louvre !
Lentement elle porta jusqu’à ses lèvres le bouquet blanc qu’elle tenait à la main.
Peut-être la pauvre enfant oubliait-elle en cette suprême minute la définitive cérémonie qui venait de s’accomplir, et où elle se trouvait, et que des centaines de regards étaient fixés sur elle !…
Tout à coup, elle regarda autour d’elle…
Alors, elle se rappela sans doute !
Ses yeux, vers le balcon, jetèrent un adieu désespéré, et, avec une plainte d’enfant qui meurt, elle chancela, se laissa tomber en arrière, évanouie.
– Malheur ! malheur sur moi ! râla le chevalier d’Assas.
Weitere Kostenlose Bücher