La Marquise de Pompadour
cœur, enténèbrent l’esprit et désorganisent la pensée.
Par un phénomène curieux, mais tout naturel, l’image d’Henri Le Normant d’Etioles – de son mari – ne vint pas un instant se pencher sur ce désespoir… Ce que voyait Jeanne dans cette affreuse minute de solitude, c’était un beau gentilhomme, à l’air un peu dédaigneux, qui passait, emporté par le galop d’un carrosse, dans une gloire d’épées nues, dans le tonnerre des acclamations d’un peuple… le roi !…
Cet amour, presque mystique à son début, entrait dans la phase violente.
Elle aimait ardemment, de toute son âme, de tout son corps… elle aspirait au vertige du baiser d’amour… et l’impression fut si intense que ses bras se tendirent vers cette image flottant devant ses yeux… D’un mouvement lent et continu, elle se releva… elle se mit en marche comme si vraiment le roi eût été là !
A cet instant, un cri terrible fit explosion sur ses lèvres.
Un cri d’angoisse et d’horreur !
Là, contre cette tapisserie, il y avait un homme !…
Et cet homme, ce n’était pas le roi ! C’était Le Normant d’Etioles !
Comment était-il là ?… Par où était-il entré ? Elle recula jusqu’au lit, contre lequel elle s’appuya. Dans le même moment, Henri fit quelques pas en avant, et elle, galvanisée par l’horreur, reconquit tout son courage et son sang-froid.
– Que faites-vous ici ? demanda-t-elle d’une voix basse, haletante.
Henri se redressa, donna une chiquenaude à son jabot, et éclata de son mauvais rire :
– Pardieu, madame, voilà une plaisante question !… Ce que je fais ici… mais j’y viens voir ma femme !…
– Comment y êtes-vous ? râla-t-elle.
– De la façon la plus simple. J’avais prévu les verrous. Et, ayant prévu cela, j’ai dû m’arranger pour entrer chez moi autrement que par la porte officielle… Ah ! nos architectes sont d’habiles gens !
Il paraissait tranquille ; il avait au coin des yeux une gaîté féroce.
Jeanne se dirigea, sans dire un mot, vers ce que son mari appelait la porte officielle.
Elle poussa les verrous, tourna la clef, et revint se placer en face d’Henri qui l’avait regardée faire sans un geste, son sourire terrible toujours sur les lèvres.
Jeanne étendit le bras vers la porte, et, d’une voix étrangement calme, elle dit :
– Croyez-moi. Dans votre intérêt, ne me poussez pas à bout. Pour sauver mon père, j’ai subi de porter votre nom. Je vous préviens que vous auriez tort d’exiger davantage. Sortez, monsieur : de vous à moi, il y a un abîme que rien ne peut combler…
Henri d’Etioles s’inclina très bas. Puis, avec la même lenteur, il se redressa, raffermit son attitude. Son visage prit une expression de menace effroyable. Sa voix devint sifflante :
– C’est la deuxième fois que vous me chassez, dit-il. Prenez garde à la troisième ! Car, cette fois, je vous obéirai, et alors !… Mais non, je veux être encore conciliant. Ecoutez, il y a entre nous deux un malentendu. Vous me détestez et je vous aime, moi !
Jeanne frissonna à ce mot. Elle ne voulait plus rien entendre. Tout plutôt que de subir plus longtemps la présence du monstre !
– Prenez garde, madame ! dit tranquillement d’Etioles. Vous allez encore faire un geste qui pourrait nous coûter cher à tous… Vous ne comprenez pas ? Je vais vous dire. Au geste que vous feriez, j’obéirais, madame ! Et savez-vous ce qui arriverait alors ?… Ceci : dans un instant va entrer dans mon cabinet un homme qui m’apportera quelque chose à signer… un simple papier… la preuve des concussions de votre père !…
Jeanne écoutait, les yeux agrandis par l’épouvante.
– Or, continua Henri avec la même tranquillité féroce, si je suis ici… près de vous… si cet homme ne me trouve pas… il est bien évident que je ne pourrai signer… Au contraire, si vous me répétez l’ordre de me retirer, j’obéirai, madame ! Et cela nous coûterait cher à tous : à moi qui aime mon oncle, à vous… à lui surtout… si toutefois il tient à sa tête !
Jeanne chancela.
Le hideux gnome se croisa les bras.
Son masque de menaçante ironie tomba, et d’une voix rude, rauque, il acheva :
– Parlez, madame ! Dois-je m’en aller ?…
Le bras de Jeanne, qui avait recommencé le geste, retomba pesamment.
Elle inclina la tête et, brisée, domptée, vaincue, laissa couler ses larmes sans songer à
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