La Marquise de Pompadour
d’estampes, d’eaux-fortes, de dessins, au fusain et au pastel.
Le pan de gauche était occupé par un lit en forme de bateau et à roulettes.
A droite, la muraille était cachée par des planches qui supportaient trois ou quatre cents volumes : la bibliothèque du poète, avec, au premier rang, l’œuvre complète de Rabelais, de Villon, d’Etienne Jodelle, de Corneille, Racine et de La Fontaine.
Sur ces volumes, les uns couchés, les autres debout, traînaient des pipes de toutes formes et de toutes matières, en bois, en terre, en verre même.
Devant la fenêtre, une grande table en bois blanc dont un bout servait de bureau de travail et était encombré de papiers, cahiers, livres, pipes, pots à tabac, et dont l’autre bout servait de table à manger et supportait une miche de pain, un verre, un reste de jambon sur un papier et surtout d’innombrables bouteilles – toutes vides, hélas !
Il y avait dans ce grenier une cheminée délabrée, mais il n’y avait pas de feu dans la cheminée. Par contre, la tablette en bois supportait encore une collection de pipes et une quantité énorme de vieilles plumes d’oie, car le poète avait la manie de conserver ses plumes.
Ajoutons à la nomenclature de ce mobilier plus que sommaire deux fauteuils dont l’un, assez beau, était couvert d’une étoffe à ramages, et trois chaises dont pas une n’eût tenu debout si elles n’eussent été appuyées au mur.
Voilà quel était le logis de Crébillon.
Mais ce qui lui donnait un aspect spécial, ce n’était ni l’âcre fumée de tabac qui le remplissait, ni son apparence misérable et cocasse à la fois : c’était la quantité de chiens et de chats qui pullulaient sur le mauvais tapis jeté en travers des carreaux dérougis.
Il y avait bien là une douzaine de chats, maigres, pelés, avec des yeux luisants, et autant de chiens, des toutous, des caniches, des bouledogues, des loulous, et tout ce monde miaulait, jappait, aboyait, jouait, se roulait et faisait très bon ménage.
Tous ces chats et ces chiens étaient les enfants trouvés du poète.
Pauvre comme Job, Crébillon ne pouvait pas voir un chien errer sans maître, crotté, famélique, dans la rue, sans le ramasser et l’emmener dans ce qu’il appelait son hospice !…
Crébillon vivait là-dedans, fumant et récitant à tue-tête les vers de ses tragédies…
Lorsque Noé Poisson entra, le poète était enveloppé d’une sorte de robe de chambre qui, en réalité, était un ancien manteau de chevau-léger, acheté pour quelques francs dans une friperie quelconque.
A la vue de Noé Poisson, les chiens aboyèrent, les chats se hérissèrent, il y eut un vacarme effrayant.
Crébillon saisit un martinet et en menaça son intéressante ménagerie en le faisant cingler. En réalité il ne porta aucun coup, mais la menace suffit sans doute, car les chats se cachèrent les uns sous le lit, les autres sur les planches que Crébillon appelait sa bibliothèque, et quant aux chiens, ils se turent.
– C’est le ciel qui t’envoie ! s’écria le poète.
– Pourquoi ? dit Noé avec une mélancolie qui n’échappa point à Crébillon.
Celui-ci, d’un geste navré, montra d’abord les innombrables flacons alignés sur un bout de table, et simplement, il dit :
– Vides !…
Puis il tira de sa bouche la pipe dont il suçait le tuyau par une machinale habitude, et ajouta :
– Pas de tabac !…
Enfin, il montra la cheminée sans feu et, se drapant dans son manteau, il acheva :
– J’ai froid !…
Noé Poisson s’était, pendant ce temps, installé dans le bon fauteuil, celui qui était couvert de ramages. Il soupira :
– Ah ! mon pauvre ami !… Quelle aventure !…
– Serais-tu sans argent ? demanda Crébillon avec une violente inquiétude.
– Non, non… grâce au ciel, j’ai encore trois ou quatre écus… et même deux louis…
– Donne ! Donne ! fit Crébillon.
– Ah ! mon ami, soupira Poisson, je crois que de ma vie je n’ai eu pareille émotion… Ecoute…
– Moi, dit Crébillon, j’ai faim, j’ai froid, j’ai soif, j’ai envie de fumer. Tant que je n’aurai pas de quoi manger, me chauffer, fumer et boire, je ne t’écouterai pas ! Maintenant, parle si tu veux !…
Noé se fouilla, sortit de sa poche les écus et les deux louis, les remit intégralement à son ami, et dit :
– Va donc chercher ce qu’il faut, car, moi aussi, j’ai soif.
– Parbleu ! fit
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