La momie de la Butte-aux-cailles
Drouot », se dit Victor, sûr de harponner la revendeuse.
Il distingua d’abord les objets disparates. Puis son regard s’accoutuma à la pénombre zébrée de deux ou trois rais de soleil qui révélaient la maquette d’un trois-mâts aux filins poussiéreux, une amphore grecque privée de son anse, une loutre empaillée ou des fleurs artificielles sous globe.
— Tata Bric-à-brac ? articula-t-il, troublé par sa propre voix.
Des fantômes erraient parmi les vieilleries, prêts à l’encercler et à le charger de fers avant de le plonger dans une geôle où il croupirait jusqu’à son trépas.
Oppressé, il déguerpit et se calma au spectacle des chats faméliques étendus à côté de larges bornes de pierre patinée. La main en visière, il se démancha le cou, mais les vitres du premier étaient masquées et il ne discerna qu’une rangée de géraniums pâlichons.
Il frappa chez Alexandrine Piote, puis, n’obtenant pas de réponse, tourna le loquet. Il buta sur un repose-pied et l’expédia contre une plinthe. Un souvenir désagréable s’imposa soudain, l’emplissant de culpabilité. Il avait six ans, il s’était éveillé au milieu de la nuit, poursuivi par un loup. Il s’était rué jusqu’à la chambre de ses parents et s’y était engouffré, se cognant à la desserte où sa mère disposait chaque soir un nécessaire de toilette en Limoges. Fracas, cris, courroux de Monsieur son père. Paralysé, Victor avait attendu que la flamme d’une bougie dessinât une aiguille jaune auprès du lit et que la poigne paternelle agrippât son épaule.
Un courant d’air agitait les rideaux voilant les fenêtres entrouvertes. Sur les étagères, le clair-obscur déformait la bimbeloterie et les cartonnages en grotesques antiques. Une enveloppe voleta vers le parquet. Victor la ramassa, et, se redressant, tressaillit à la vue d’une silhouette accotée à un bahut.
— Vous êtes là ! À quoi jouez-vous ? Vous ne m’avez pas entendu toquer à votre porte ?
Tata Bric-à-brac pivota lentement vers Victor, qui lui sourit, heureux de cette présence grâce à laquelle le décor s’affranchissait de son étrangeté. Son sourire s’effaça. La position de la marchande était dépourvue de naturel, on eût dit qu’elle était ballottée au gré de la brise.
— Je suis venu pour les Che…
La femme se déplaçait bel et bien. Ses jambes oscillaient à cinq centimètres du sol et, au-dessus de son visage violacé, une corde grimpait à l’assaut de la poutre maîtresse.
CHAPITRE IX
Après-midi du même jour
En cette journée d’automne, les couloirs de la Préfecture semblaient plus lugubres, plus crasseux encore qu’à l’ordinaire.
Augustin Valmy gravissait lestement les escaliers de la police judiciaire qui conduisaient à son bureau. Autrefois territoire de l’inspecteur Lecacheur, c’était un local miteux au papier beige constellé de rectangles marron qui lui mettait les nerfs à vif. Seul avantage : un évier installé sous une glace tavelée.
Il longeait le corridor vert pâle, impatient de se laver les mains, lorsqu’il s’entendit héler par le planton.
— Monsieur l’inspecteur, ordre du patron. Vous devez rejoindre d’urgence la cour de Rohan. Le commissaire Pérot, du VI° arrondissement, a reçu un appel téléphonique : un quidam a découvert une femme morte au numéro 12. Le commissaire Pérot a fait un saut sur les lieux et a constaté les faits. Il a délégué ses deux agents Chavagnac et Gerbecourt, ils surveillent le périmètre, mais le patron tient absolument à ce que ce soit vous qui meniez l’enquête.
— Raoul Pérot est assermenté, le VI°, c’est son fief, non ? Je suis débordé, mes dossiers s’accumulent. Ma présence est-elle indispensable ?
— Moi, je vous transmets la consigne. Le patron a précisé que le quidam qui a donné l’alerte est un certain Victor Legris, bien connu de nos services, et que ce problème requérait de la diplomatie.
Augustin Valmy n’en revenait pas. Quand, neuf mois plus tôt, il avait recueilli les instructions de l’inspecteur Aristide Lecacheur, celui-ci, après des considérations générales sur les situations auxquelles son remplaçant serait confronté, avait cité Victor Legris. Cet individu, libraire de son état, montrait une fâcheuse propension à marcher sur les brisées de la police. Non content de piétiner des plates-bandes interdites, il commettait des bévues qui,
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