La momie de la Butte-aux-cailles
trouvant une moitié de crâne humain sur la berge du port Saint-Nicolas. La police enquête. »
— Ma parole, je rêve ! C’est un de mes journaux, c’est moi qui ai sélectionné cet entrefilet ! Comment diantre ?… Maman ! C’est trop fort ! Quel culot !
Il tira un second journal, le feuilleta frénétiquement et ne put contenir son indignation.
— Elle a fouillé dans la remise, ça se paiera, elle va m’entendre !
UN TRAFIC CRIMINEL
« On a découvert dans le port de Rouen trois pseudo-momies destinées aux collectionneurs. Après avoir éviscéré des cadavres récents, les escrocs les ont bourrés de papier et enveloppés de bandelettes, dont certaines authentiques. Les corps, décorés d’amulettes de pacotille, côtoyaient une trentaine d’animaux, momifiés eux aussi, dont une demi-douzaine de chats. »
Euphrosine avait donc récidivé et outrepassé l’interdiction formelle de son fils. Elle s’était permis de subtiliser une partie de sa précieuse documentation concernant les événements insolites qu’il collationnait. Il vérifia la date du dernier journal, 10 janvier 1896, et poursuivit sa lecture :
« Comment séparer le vrai de la contrefaçon ? Des faussaires se livrent à des travaux d’art abusant les mieux informés. Citons pour exemple le scandale du sceptre de Charlemagne que la galerie d’Apollon au Louvre exposa de 1805 à 1882, date à laquelle on divulgua la supercherie. Ce sceptre n’était qu’un bâton de chantre moyenâgeux 29 habilement maquillé. »
— Ben ça, c’est du toupet ! M’escamoter des perles pareilles pour les accrocher dans les water-closets de Victor ou allumer sa cuisinière ! Si ce n’était pas ma mère, elle mériterait une bénédiction de parade ! s’exclama Joseph, outré.
— De quoi ? s’enquit une voix de rogomme derrière lui.
Euphrosine jeta rageusement son cabas sur la paillasse de l’évier.
— Ah, j’la porte, ma croix ! Mon propre fils, me menacer de violences physiques !
— C’était juste une métaphore, marmotta Joseph.
— Une méta quoi ? C’est ça, moque-toi de ta mère, cause-lui en jargon d’l’Académie française ! J’ai sué sang et eau depuis l’âge de huit ans, j’ai pas eu le privilège d’aller à l’école, moi, monsieur ! C’est ton pauvre papa qui m’a appris à lire. Ah, s’il était là, il t’en retournerait une ! J’suis un esprit simple, moi, faudra t’y faire. Puisque t’as le coco fêlé, j’me déguise en courant d’air, la cuistance ce sera pour plus tard, tu préviendras m’sieu Legris !
Furieuse, elle effectua une retraite de reine offensée.
— C’est facile d’accabler les autres quand on est dans son tort ! s’écria Joseph.
La suite de l’article le détourna de l’incident.
« Quant aux momies dissimulées parmi un chargement d’oranges emplissant le cargo Dakar, il est probable qu’elles ont été embarquées au cours d’une escale au Caire. L’Égypte bénéficierait-elle de la bienveillance de douaniers sensibles aux bakchichs ? Bravant les lois, les habitants de ce pays se dédommagent des pillages commis chez eux par l’Europe et l’Amérique. Même si le commerce des antiquités est illégal, la vogue en est telle que les amateurs de nos pays succombent à la tentation de s’en procurer à tout prix. La demande pousse des individus peu scrupuleux à déterrer des cadavres frais et à les métamorphoser en momies ancestrales. Seulement, cette fois, un accident…»
— Avec qui cette altercation ?
Victor venait de retrouver Joseph, agacé de devoir renoncer à sa lecture.
— Ma mère. Elle m’a carotté mes journaux. Je lui ai dit ce que j’en pensais, elle s’est fâchée rouge. Comment va Mme Tasha ?
— Elle est indisposée, j’ai téléphoné au Dr Reynaud.
— Si on allait dans un endroit tranquille où on ne serait embêtés par personne ? Ce que j’ai à vous révéler est d’une importance capitale, et comme un fait exprès, ce canar canard …d…
— Me suggérez-vous d’abandonner mon épouse en un instant critique ?
— Rien qu’une heure. De toute façon, maman veillera au grain. Elle est de l’autre côté de la cour, elle boude. Allez donc lui expliquer, elle comprendra. Vaut mieux que je me tienne à l’écart.
— Vous l’avez vexée ?
— Ça, c’est un comble ! clama Joseph, qui roula le journal en un cylindre dont il se frappa la
Weitere Kostenlose Bücher