La mort bleue
même à lâAcadémie commercialeâ¦
â Je me souviens de certains hivers où les écoles ont été fermées. En 1885, et encore en 1890â¦
Ce dernier épisode lâavait convaincu, en 1896, dâembaucher Ãlisabeth comme préceptrice plutôt que de mettre ses propres enfants à lâécole. Bien sûr, la présence dâAlice dans la maison, grabataire, avait pesé sur cette décision. Toutefois, lâhomme souffla après un silence :
â Je souhaite seulement que nous nâayons pas commis une sottise.
Devant le regard interrogateur de sa compagne, il expliqua :
â Il y a huit jours, le docteur Hamelin nous a demandé de prendre des mesures contre cette épidémie. Enfin, il a demandé cela au médecin hygiéniste de la Ville.
â Celui-ci nâa rien fait?
La voix paraissait chargée de reproche, au point où il se défendit :
â Le spécialiste de la question, Paquin, prétendait que cela ne servait à rien. Son collègue de Montréal paraît du même avis.
Il agita le numéro de la veille de La Patrie , comme pour ajouter au poids de son plaidoyer.
â Mais sur la colonne voisine, concéda-t-il bientôt dâune voix moins assurée, le même médecin enchaîne en conseillant de retenir à la maison les écoliers ayant été en contact avec des personnes malades. Bien plus, il faudrait désinfecter les vêtements de ceux-ciâ¦
Le malaise de Thomas sâamplifia encore un peu. Une semaine plus tôt, la décision de ne rien faire semblait bien raisonnable. Aujourdâhui, cela lui paraissait fort douteux.
* * *
Le vieil hôpital si souvent agrandi semblait déborder. Les religieuses augustines, de leur côté, se raréfiaient. Au terme de sa tournée des malades, Hamelin retrouva la directrice dans le couloir, fidèle à une habitude vieille de plusieurs jours. Les préoccupations et lâépuisement se conjuguaient pour creuser ses traits.
â Les choses ne vont pas mieux? demanda lâhomme.
â La moitié de mes sÅurs souffrent de cette vilaine grippe. Si cela continue, nous seront forcées de fermer nos portes. Les sÅurs valides suffisent à peine à soigner les malades.
Elle sâengagea dans le couloir, le médecin sur ses talons. Pour des motifs de pudeur, une petite salle séparée recevait les religieuses malades. La contagion avait forcé lâajout de deux lits dans la pièce, ce qui entraînait une désagréable promiscuité. Un concert de toux accueillit leur entrée, venant autant des malades que de la soignante présente.
Tout au fond, des draps pendus au plafond préservaient une couche des regards. Le médecin découvrit la toute jeune religieuse, vingt ans à peine, inconsciente, la respiration très laborieuse. Plus personne ne songeait à manipuler les pans de la chemise de nuit de façon à dissimuler les pointes des seins au moment de lâauscultation. Même la coiffe demeurait sur le chevet. Les cheveux mal coupés lui donnaient lâallure dâun garçon aux traits étonnamment doux.
â Les poumons paraissent pourtant se dégager, souffla-t-il en secouant la tête.
â Elle a combattu si longuement, si courageusement, pendant des jours.
Hamelin se souvenait de ces moments de lutte. La respiration oppressée, les lèvres violacées, le corps en sueur. à ce moment, elle prononçait des mots sans suite, où revenaient les « Doux Jésus » entre de brèves protestations contre la maladie. Maintenant, tout son corps paraissait prêt à sâabandonner à la mort bleue.
â Comme si tous ses efforts la laissaient sans ressources pour reprendre conscience, conclut la religieuse. Elle a sombré trop basâ¦
Juste à ce moment, la patiente émit une plainte, son corps sâarqua un peu, pour se détendre ensuite tout à fait dans un grand soupir. Comme si elle attendait juste de profiter dâune présence humaine au moment de son départ.
â Oh! Seigneur mon Dieu! sâexclama la vieille augustine en se précipitant.
Le médecin reconnut tout de suite lâouvrage de son ennemie de toujours. Le visage se détendit, sâinclina un peu sur la gauche. Malgré la proximité de la directrice, ou Peut-être pour prévenir un
Weitere Kostenlose Bücher