La mort bleue
Saint-Roch depuis deux ans déjà . Il conservait toujours lâespoir de faire une différence positive dans ce petit monde besogneux. Toutefois, les projets de ses maîtres, à la Faculté de théologie, lui paraissaient maintenant un peu saugrenus. Construire une nouvelle Jérusalem en terre québécoise attendrait. Visiter des logis ouvriers touchés par la maladie lui semblait maintenant une Åuvre certes plus modeste mais plus utile.
Après être passé dans une dizaine de domiciles depuis le matin, le jeune ecclésiastique montait à lâétage dâune petite bâtisse située à lâombre de la grande église paroissiale construite de pierre grise, rue Saint-François. Un petit homme désemparé répondit un long moment après les coups contre la porte.
â Monsieur le curé, enfin. Entrez, entrez.
Malenfant ne crut pas opportun de préciser que sa promotion à une cure viendrait dans de nombreuses années. Le désordre inouï exposé sous ses yeux le laissa un moment interdit. Des pièces de vêtement, et même des couverts souillés de restes de nourriture, encombraient le plancher. Quelque part, un bébé vagissait faiblement.
â Germaine se trouve dans la chambre.
Dans la pièce minuscule, sur la gauche, le prêtre reconnut une odeur de sueur, dâexcréments et de peur mêlés. Une femme maigre et pâle, étendue dans le lit, respirait difficilement. à la vue de la soutane, elle tenta de serrer contre sa poitrine les pans de sa chemise de nuit.
â Monsieur le curéâ¦
Se montrer à son pasteur dans cet état semblait bien impudique. Le prêtre ne sâen formalisa pas. Il chercha la main moite de la malade, la serra dans les siennes, puis murmura :
â Je vous écoute, ma fille.
Lâexpression, à lâégard dâune femme sensiblement de son âge, lui parut soudainement ridicule. Il approcha son oreille, distingua quelques mots dans le murmure soufflé avec peine. Il reconnut la nomenclature de quelques péchés bien véniels, songea à lâarrêter, le temps de mettre son étole autour de son cou. Mais la condamner à recommencer son laïus lui parut inhumain.
Quand la malade sâarrêta, ses grands yeux désespérés posés sur lui, il lui donna lâabsolution. Il eut lâimpression de la voir sâaffaisser, comme si le fait de sâêtre mise en règle avec son Créateur lâautorisait désormais à abandonner la lutte. Maintenant, les yeux clos, elle ne sembla pas sentir le pouce traçant une croix sur son front, au moment de la bénédiction.
Le prêtre se releva pour voir lâépoux debout dans lâembrasure de la porte, les traits défaits.
â Avez-vous demandé au médecin de venir la voir?
â Oui, il y a deux joursâ¦
â Il pourrait lui donner une injection de camphre⦠Parfois, cela fait beaucoup de bien.
Lâhomme parut hésiter, puis il confia à la fin :
â Jâai dû quitter mon emploi au magasin LÃGARà afin de mâoccuper dâelle et des petits.
En dâautres mots, la dépense pour une nouvelle visite du praticien lui paraissait trop lourde.
â Vous avez un enfant?
â ⦠Deux. Voulez-vous les bénir?
Le prêtre donna son assentiment. Au-delà de la cuisine obscure, sans aucune fenêtre, une chambre minuscule accueillait deux petits lits placés lâun contre lâautre. Un bébé de moins dâun an continuait de geindre, sans jamais sâinterrompre. Il paraissait maigre, déjà bien affaibli.
â A-t-il suffisamment mangé?
â Germaine donne bien peu de laitâ¦
â Mais vous pouvez en trouver au marché Jacques-Cartier.
Lâhomme baissa les yeux, penaud, avant de murmurer :
â Je ne sais pas trop⦠puis câest cher.
Ce type nâavait aucune idée des soins à donner à ses enfants et, privé de son salaire, les dépenses devaient lui sembler excessives.
â De plus, je nâose plus sortir afin de ne pas les laisser seuls.
Le second enfant devait avoir trois ans. Lâabbé Malenfant lui trouva le teint bleuté, la respiration sifflante. Les complications de la grippe faisaient déjà leur Åuvre.
â Vous nâavez pas de parents à Québec susceptibles de vous
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