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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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parce que les femmes, très nombreuses, mobilisées dans des emplois salariés autrefois réservés aux hommes, devaient trouver une nouvelle liberté de mouvement, son ensemble n’allait pas plus bas que les mollets. Encore en 1914, cette tenue aurait paru indécente.
    Elle marcha d’un pas vif jusqu’à l’arrêt de tramway le plus proche, monta prestement dans la voiture à peine arrêtée. Aucun autre passager ne s’y trouvait, les journaux conseillant d’éviter autant que possible de se tenir avec d’autres personnes dans des lieux clos. Toutes les réunions devenaient inquiétantes, même les plus anodines. Sur les trottoirs, les gens marchaient d’un pas rapide, la tête baissée. S’ils n’apercevaient pas leurs connaissances, ils n’auraient pas à leur tendre la main pour échanger un « Bonjour ». Les plus inquiets semblaient craindre d’attraper la maladie par un simple regard.
    Par la fenêtre de la voiture, Thalie contemplait les devantures des restaurants, des cinémas et des autres lieux publics. La semaine précédente, même l’archevêque de Montréal avait cru bon d’accorder à ses ouailles la permission de s’absenter de la messe dominicale sans risque de péché. En ces temps périlleux, les curés s’alarmaient de la désertion du sacrement de la confession. La grande boîte où énumérer ses fautes ressemblait fort à un cercueil dressé debout, sans compter les microbes susceptibles de polluer ce petit réduit.
    * * *
    Henri Lavigueur devait harmoniser ses responsabilités de maire et de député aux intérêts de son entreprise commerciale. Avec l’aide de commis compétents, il s’occupait lui-même du magasin d’instruments de musique situé rue Saint-Jean, dans la Haute-Ville. Les quartiers Saint-Roch, Saint-Sauveur et Jacques-Cartier recelaient assez de ménages prospères pour justifier la présence d’un second établissement dans la Basse-Ville. Celui-là profitait de la présence de son fils aîné, Louis.
    Au moment où le père entrait dans la succursale de la rue Saint-Joseph, il aperçut ce dernier en grande conversation avec un épicier soucieux d’offrir à ses proches les plaisirs d’un harmonium. Il attendit la fin de l’explication, profita ensuite du fait que le client voulait essayer l’instrument pour demander à Louis :
    â€” Les affaires demeurent-elles bonnes?
    â€” Pas du tout. Avec la grippe, les visiteurs se font de plus en plus rares. Depuis une semaine, nous ne faisons sans doute pas nos frais.
    â€” Évidemment, avec les articles de journaux si alarmistes…
    Ã€ ce moment, le jeune homme fut pris d’une quinte de toux. Le client s’éloigna un peu de l’instrument, porta machinalement la main à son visage afin de couvrir à la fois son nez et sa bouche. Son amour de la musique ne le conduisait tout de même pas à risquer sa vie.
    Le commerçant retrouva son souffle avec peine, puis expliqua :
    â€” Les journaux n’ont rien à y voir. Le sifflement de mes poumons suffit à garder les gens chez eux.
    Le ton contenait une pointe de reproche, le père encaissa le choc, regarda autour de lui : sauf l’amateur d’harmonium, personne ne se trouvait dans le commerce. Si les ménagères ne pouvaient se priver d’aller au marché afin de procurer des vivres à leur famille, et même, à la rigueur, des vêtements, ajourner l’achat d’un instrument de musique ne posait aucun problème.
    â€” Les choses iront certainement mieux bientôt, maugréa le maire.
    â€” Au premier coup d’œil, cela ne paraît pas, répondit le jeune homme avant de retousser bruyamment.
    Lavigueur secoua la tête, soudainement très préoccupé. La visite de Thomas, deux jours plus tôt, lui restait en travers de la gorge. Maintenant, ses préoccupations prenaient une tournure très personnelle. Après quelques mots d’encouragement à son fils, il se dirigea prestement vers le grand magasin PICARD. La planification de la séance spéciale du conseil municipal, prévue pour le soir, méritait un effort de réflexion avec ce citoyen éminent.
    * * *
    Le vicaire Malenfant exerçait son ministère dans la paroisse

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