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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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moment à passer.
    â€” Mais tu ne sors jamais dehors sans ce masque.
    L’étudiante en médecine laissa échapper un rire bref, puis elle précisa :
    â€” Je n’ai aucune envie de passer par ce mauvais moment, toi non plus. Alors ne sors jamais sans ton masque, repose-toi bien, mange bien. Avec un peu de chance…
    Sur ces mots, elle posa ses lèvres sur les joues de son amie, s’amusa de l’effet produit à cause du masque, puis s’esquiva par l’escalier avec un dernier salut de la main.
    * * *
    Thalie ferma soigneusement la porte du commerce, s’engagea dans la rue de la Fabrique en diagonale, s’arrêta pour laisser passer un tramway à peu près vide. Elle remarqua le chauffeur, affublé d’un masque semblable au sien. La nonchalance remarquée le lundi précédent disparaissait bien vite.
    Un moment plus tard, elle posait le pied sur le trottoir de la rue Buade, s’engageait dans Desjardins afin de rejoindre le grand édifice de pierre de la cathédrale anglicane.
    Le logis de l’évêque se trouvait dans une maison attenante. La jeune fille sonna, attendit en vain une longue minute, puis agita encore la chaînette de laiton, cette fois avec insistance. Une adolescente vêtue d’un uniforme de domestique vint lui ouvrir. Thalie prononça dans son meilleur anglais :
    â€” Je veux voir madame Hawkins.
    â€” … Madame est très occupée, avec la grippe.
    â€” Justement, j’aimerais lui offrir mes services. Je suis étudiante en médecine.
    L’autre parut un peu intéressée par cette dernière information.
    â€” Attendez un instant, je vais voir.
    La porte se ferma sur le nez de la visiteuse. Laisser ainsi quelqu’un sur le trottoir tenait de la dernière impolitesse, mais la situation amenait de nombreuses personnes à oublier toute bienséance. Les Québécois, préoccupés de microbes et de germes, tendaient à garder leurs distances et à transformer leurs demeures en forteresses.
    Un moment plus tard, la domestique revint pour déclarer:
    â€” Madame consent à vous accorder une minute.
    La bonne paraissait encline à s’assurer que la visiteuse ne prenne pas une seconde de plus, chronomètre en main.
    La porte d’entrée s’ouvrait sur un long couloir, tout de suite à gauche se trouvait une pièce lambrissée de chêne, les murs couverts d’étagères ployant sous le poids des livres. L’épouse de l’évêque occupait la pièce de travail de son mari, un téléphone à portée de la main, une multitude de bouts de papier dispersés sur le bureau devant elle. Une autre femme s’affairait dans un coin de la pièce, assise derrière une table à cartes, elle aussi couverte de documents.
    â€” Je suis désolée de vous recevoir de façon aussi cavalière, s’excusa son interlocutrice, une personne dans la cinquantaine, en se levant à demi, la main tendue, mais dans les circonstances…
    â€” Je comprends, répondit la visiteuse en adressant un salut de la tête à l’autre personne présente dans la pièce, aussi je ne vous ferai pas perdre de temps. Je suis Thalia Picard, étudiante en médecine à McGill.
    â€” Oh! Je sais parfaitement qui vous êtes. Sans ce masque, je vous aurais reconnue tout de suite. Nous sommes presque voisines et je vous ai vue à quelques reprises au Quebec High School, lors de visites effectuées avec mon mari. Asseyez-vous.
    La jeune fille posa le bout des fesses sur la chaise devant le bureau, continua avec une pointe de modestie :
    â€” Je suis seulement en première année. En fait, j’ai assisté aux cours pendant un peu plus d’un mois, avant la fermeture de la Faculté. Mais je sais que je serai utile à votre mari. J’ai lu dans les journaux que vous recrutiez des volontaires pour le centre de soins qu’il dirige dans la Basse-Ville.
    L’évêque anglican avait pris l’initiative de créer un établissement de soin rue Saint-Pierre, à l’intention des protestants victimes de grippe, tant les habitants réguliers de la ville que les marins de passage.
    â€” Je suis certaine que vous sauriez l’aider. Toutefois…
    â€” Vous ne me prendrez pas parce que je suis catholique? s’offusqua Thalie en élevant un peu la

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