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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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santé publique.
    La voiture automobile se trouvait directement sous la fenêtre quand la voix tonitruante leur imposa le silence :
    Â«Â Les réunions de toutes les associations catholiques sont suspendues. Les membres des Filles d’Isabelle, des Dames de Sainte-Anne, des Ligues du Sacré-Cœur, des cercles Lacordaire, des syndicats catholiques, des cercles d’étude et des groupes de prière attendront les directives des officiers de leur organisation. »
    Sur les trottoirs, les gens s’arrêtaient pour s’extasier devant le curieux véhicule et pour entendre dans le recueillement les directives de leur prélat. À la réflexion, les badauds concluaient que ces grands cônes rappelaient davantage l’émetteur d’un téléphone que les haut-parleurs d’un gramophone. La voix, amplifiée grâce à d’énormes piles électriques, prenait une sonorité artificielle, métallique en quelque sorte.
    Â«Â Toutes les personnes dont l’un des proches est atteint de la grippe sont priées de s’abstenir de participer aux cérémonies religieuses. Elles pourront obtenir le réconfort de la religion de la part des prêtres et des vicaires se livrant à des visites aux malades. »
    Cette information contredisait un peu la première : dans ces conditions, même les messes basses risquaient de se voir désertées, car la plupart des ménages devaient compter un de leurs membres touché par la maladie.
    â€” Les funérailles prendront une curieuse allure, remarqua Flavie, si les membres de la famille ne peuvent plus y assister.
    Prise au pied de la lettre, la directive aurait bien cet effet. Plus probablement, les proches feraient exception pour ce dernier adieu, mais les voisins, les cousins, les oncles et les tantes ne risqueraient pas leur santé pour l’occasion.
    â€” À Montréal, précisa Édouard, l’archevêque limite à cinquante personnes l’assistance aux funérailles.
    â€” Et aucun crêpe n’est tendu dans les églises, compléta Flavie, témoignant ainsi de sa lecture assidue de La Patrie . Il paraît que les tissus peuvent abriter des germes.
    Toute la population du monde occidental essayait de mettre un visage sur ces êtres microscopiques habitant leur environnement. À cause des découvertes scientifiques, chacun avait l’impression de se trouver dans un univers grouillant de bestioles invisibles, le plus souvent dangereuses. Finalement, même dans les pays les plus avancés, l’existence se déroulait dans une jungle menaçante.
    Alors que l’automobile s’éloignait pour livrer son message de prudence dans la paroisse Saint-Sauveur, soudainement, une énorme cloche de bronze commença à sonner le glas dans le clocher de l’église Saint-Roch, distant de quelques dizaines de pieds tout au plus. Édouard ferma la croisée afin de limiter le vacarme. Le son faisait tout de même vibrer les vitres dans leur cadre.
    â€” Encore un autre, murmura la secrétaire en regagnant sa place derrière sa machine à écrire. Quelle tristesse!
    Le jeune homme souhaitait continuer la conversation, mais la pensée d’un nouveau décès dans la paroisse Saint-Roch lui enlevait toute envie de conter fleurette.
    * * *
    Au fond, se disait Thomas en entrant dans le grand magasin en fin d’après-midi, sa présence sur les lieux ne donnait rien, sauf peut-être cultiver l’illusion de demeurer encore le premier artisan de l’entreprise. De plus en plus, il aimait traîner à la maison après le déjeuner ou alors visiter des voisins, des connaissances, le plus souvent des alliés du Parti libéral. Dans la jeune cinquantaine, il se surprenait à développer des habitudes de retraité.
    Cependant, une fois passées les grandes portes, son esprit se mettait en quelque sorte au garde-à-vous. Tout de suite, le fléchissement de l’effectif de vendeurs et de vendeuses lui sauta aux yeux. Soit les absents se trouvaient atteints de la grippe, soit ils veillaient l’un de leurs proches. Dans certains cas, rares sans doute, des personnes se privaient de rémunération dans le seul but de se terrer chez elles afin de ne pas s’exposer à la contagion. Les demeures prenaient l’allure de petites forteresses dont les habitants

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