La mort bleue
que les nôtres. Cultive lâamitié des Taschereau, le papa sâoccupe sérieusement de son avenir et du leur.
â Gouin laisserait-il son poste de premier ministre de la province afin dâaller sâasseoir sur les banquettes de lâopposition, à la Chambre des communes? Cela paraît tout à fait insensé.
â Au lieu de boire du whisky de contrebande au Club de réforme, tu devrais suivre les événements politiques. La guerre se terminera dans quelques jours. Penses-tu vraiment que Borden saura se maintenir au pouvoir, une fois la paix revenue? Dans lâOuest et en Ontario, les fermiers sâagitent. Au Québec, après la conscription, les conservateurs paraissent avoir disparu sous terre. Gouin, comme bien dâautres, rêve à lâavenir, au sien, pas au passé. Il se voit ministre dans le futur cabinet Laurier.
Dans le silence qui suivit cette analyse politique, Ãdouard porta son attention sur les conversations autour dâeux. Tous les hommes discutaient dâaffaires publiques. Il sâagissait bien dâun congrès dâun genre nouveau.
â Le premier ministre Borden nâaura pas à affronter lâélectorat avant 1921, insista-t-il.
â Alors il se fera battre en 1921. Mais je soupçonne que le bonhomme donnera sa démission avant cette date. Gouverner en temps de guerre doit épuiser son homme. Lâun de ses fidèles lieutenants ira à lâabattoir à sa place.
â De ce pas, je vais vérifier tes hypothèses auprès de mes nouveaux amis du clan Taschereau.
Le jeune homme sâattendait à se voir confirmer tout cela par les fils du ministre. Son paternel se révélait infaillible, sur ces questions. Thomas choisit dâaller vers la cuisine à la quête de nouvelles confidences.
Il y découvrit un petit quarteron de notables de son parti. Dans un coin, une tasse à la main, Lomer Gouin se tenait tout près de la cuisinière au charbon, heureusement éteinte à ce moment de la journée. Comme il semblait se lasser de sa conversation avec un ministre, le marchand sâapprocha pour lui donner lâoccasion de sâen détacher, mine de rien.
â Il semble bien que nous arrivons à la fin de cette horrible guerre, commenta-t-il.
â Tous les journalistes semblent lâaffirmer. Espérons que pour une fois, ils disent la vérité.
Lâinterlocuteur précédent eut la gentillesse de sâéloigner un peu. Picard baissa le ton pour remarquer :
â Le gouvernement fédéral cessera sans doute bientôt de courir après les conscrits. Ces poursuites maintiennent lâagitation dans nos campagnes.
â Rien ne semble indiquer un arrêt des procédures.
Entre les articles sur lâépidémie, ceux rappelant les condamnations des personnes vendant de lâalcool malgré la prohibition et les autres sur dâéventuels pourparlers de paix, toute la presse évoquait encore les policiers fédéraux lancés à la chasse aux insoumis.
â Au moins, insista Thomas, on suspendra vraisemblablement lâenvoi de contingents vers lâEurope. Non seulement les derniers appelés ne seront pas arrivés sur le vieux continent avant la fin des opérations militaires, mais ces navires doivent être des foyers dâinfection.
â Comme les camps militaires sont en quarantaine, murmura le premier ministre, lâexpédition de ces hommes a pris fin.
Gouin connaissait bien les difficultés du recrutement militaire. Lâagitation de la population le laissait visiblement préoccupé. Toutefois, des motifs plus personnels le rendaient morose depuis quelques semaines. Son interlocuteur suivit son regard, découvrit un colosse à lâangle opposé de la cuisine. Il sâagissait dâErnest Lapointe, le député de Rivière-du-Loup à la Chambre des communes.
â Nous avons de la grande visite, glissa-t-il avec malice.
â Vous évoquez là son format, je suppose, pas son importance politique. En ces tristes circonstances, il représente notre chef incapable de se déplacer.
â Wilfrid Laurier est-il malade?
â Il souffre dâune maladie qui nous menace tous : la vieillesse.
Le vieux chef dépassait maintenant les soixante-quinze ans. Grand et maigre, son apparente fragilité avait longtemps alimenté la
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