La mort bleue
Chaque fois, jâai la pénible habitude de mâaffaler de tout mon long.
â Ne vous en faites pas, je ne suis pas attachée aux usages au point de mettre votre équilibre en péril.
Son sourire exprimait une immense sympathie. Le jeune homme garda la petite menotte dans la sienne un peu plus longtemps que nécessaire. Très vite, Catherine nây tint plus.
â As-tu été blessé gravement?
â Rien pour me faire mourir, ne tâinquiète pas. Ma jambe a été brisée en plusieurs endroits. Cela mâa valu de très mauvaises cicatrices, une tige de métal dans le fémur, et une autre dans le tibia.
« Et depuis, une douleur sans doute constante », songea Thalie. Lâhomme devait penser à la même chose, car il réprima une grimace.
â Je crois être toutefois condamné à mâappuyer sur ce morceau de bois pour le reste de mes jours.
Catherine leva la main pour lui caresser le visage.
â Mais tu es de retour, dit-elle à voix basse. Cela me rend si heureuse.
De nouvelles larmes parcoururent ses joues. Son gant gauche servit à les effacer encore.
â Tu pourras venir souper avec nous, nâest-ce pas?
â Lâarmée laisse quartier libre à ses soldats jusquâà minuit. Et ceux qui seront en retard à la caserne ne risqueront sans doute pas les arrêts de rigueur.
â Tu nâes pas encore libre de tes mouvements?
â Tu ne connais pas lâétat-major. Plus longtemps ces généraux nous tiendront en laisse, plus ils seront contents.
Les traits du militaire exprimèrent lâimmense colère accumulée au cours des deux dernières années. Il réprima sa mauvaise humeur avec peine.
â Demain matin, les membres de mon régiment rapatriés au Canada seront reçus en grande pompe à lâhôtel de ville de Sherbrooke. Nous serons ensuite autorisés à rentrer à la maison. Comme nous sommes trop mal en point, on ne nous demandera pas de défiler dans les rues. Cela ferait une mauvaise publicité.
Sa sÅur ne lâchait pas son bras, posait sur lui des yeux émus.
â Donc, tu vas nous accompagner.
â ⦠Je ne veux pas mâimposer, commença Thalie. Vous devez avoir tellement à vous dire.
â Viens avec nous, je tâen prie. Je retrouve mon grand frère, je veux garder mon amie.
à la sortie de la gare, elles constatèrent la disparition de toutes les voitures taxis. Les cochers brillaient aussi par leur absence, une petite foule sâentassait à lâarrêt du tramway.
â Avec toute cette affluence, il fallait sâen douter. Crois-tu pouvoir attendre? Nous pouvons aussi retourner à lâintérieur et nous reposer un peu. Les gens vont se disperser bientôt.
â Cela ne devrait pas être trop long, mettons-nous derrière ceux-ci.
Ils se placèrent dans la file. Catherine sâaccrochait au bras de son frère, essayait de le soutenir afin dâépargner un peu la jambe blessée. Bientôt, Thalie fit de même avec le bras gauche.
â Cela doit être la récompense des héros, commenta le militaire en posant les yeux sur elles. Deux très jolies filles pendues à mes bras.
â Un bien petit privilège, compte tenu du prix consenti.
â Vu de cette façon, vous avez raison.
Quelques minutes plus tard, un premier tramway fit le plein de passagers. Ils purent monter dans le troisième. Sa blessure valut à John une place assise, les deux jeunes femmes sâaccrochèrent aux courroies de cuir pendues au plafond afin de conserver leur équilibre malgré les soubresauts causés par la progression de la voiture.
Catherine remarqua la grimace sur le visage de son frère, sa main exerçant une pression juste au-dessus de son genou droit.
â Cela fait mal.
â Heureusement, je pensais me faire banquier, comme papa. Le baseball est définitivement de lâhistoire ancienne.
Encore une fois, une agressivité sourde pointait dans sa voix. Afin dâamener la conversation sur un autre sujet, la jeune femme demanda :
â Pendant ton séjour à lâhôpital, tu as peut-être croisé le frère de Thalia. Il a été blessé deux semaines environ avant la fin des combats.
â Peut-être. Les Canadiens se trouvaient regroupés dans les mêmes
Weitere Kostenlose Bücher