La mort bleue
ans alors que jâen ai un peu plus de cinquante.
â Alors nous sommes des jumeaux.
Le professionnel obèse et chenu marchait avec difficulté. Son souffle court et sa respiration sifflante témoignaient dâune santé déclinante.
â Venez vous asseoir, invita Thomas. Vous devrez toutefois endurer mon nouvel aménagement des lieux.
Le lit placé près de la fenêtre donnait un air étrange à la bibliothèque.
â Lâescalier me paraît un obstacle insurmontable, alors je me limite au rez-de-chaussée.
â Vous êtes tout de même installé confortablement.
â Je passe de mon lit à ce fauteuil, expliqua-t-il en se laissant tomber lourdement, puis de ce fauteuil au lit. Mes journées sâégrènent à relire les livres entassés sur ces étagères, mais je ne veux pas en commencer un nouveau. Jâaurais trop peur de ne pas le terminer.
â Voyons, vous vous remettez très bien.
Thomas lui adressa un sourire attristé.
â Nous nâallons pas nous raconter des histoires, après toutes ces années. Cet accident, survenu à Ottawa, était le second. Je doute de passer à travers le troisième. Câest comme si jâavais une petite bombe dans la tête.
â Pourtant, vous paraissez beaucoup mieux.
â Le docteur Caron, sous ses dehors timides, nâhésite pas à dire la vérité. Six mois après une crise dâapoplexie, jâai une chance sur trois de ne plus être de ce mondeâ¦
Ce pronostic lâavait laissé songeur. Lentement, il se faisait à lâidée de ne plus en avoir pour longtemps, peut-être.
â Avez-vous apporté mon testament avec vous?
Le notaire ouvrit son vieux porte-documents pour en sortir un dossier de format légal.
â Voulez-vous y apporter des changements?
â De simples détails. Par exemple, prévoir une petite somme, cent dollars, pour la jeune infirmière qui loge ici, si elle se trouve encore à mon emploi au moment de mon décès. Cette personne mâaide à prendre mon bain, cela vaut quelque chose. Elle se nomme Odile Bouchard.
Le tabellion sortit un crayon de sa poche, écrivit une note en marge du document.
â Pour le reste, je veux juste me remémorer ce que je vous demandais de préparer lâété dernier. Jâai peur que ma mémoire faiblisse un peu.
â Alors, commençons par votre principal héritier, Ãdouard. Vous avez prévu lui laisser trois de vos cinq parts du magasin et des ateliers, de même que vos terrains du côté de Sainte-Foy et quelques actions dans diverses entreprises.
â Avec le salaire quâil pourra se consentir pour la gestion des entreprises PICARD, il comptera parmi les personnes les mieux nanties de la ville.
â Il nâaura certes pas à se plaindre.
Le jeune homme pourrait sans mal conserver son train de vie actuel. Son père se demandait toutefois sâil saurait enrichir ce patrimoine.
â Votre femme doit garder la propriété de cette maison, une part, câest-à -dire le cinquième de vos entreprises, toutes vos obligations dâépargne, vos bons de la victoire.
â Tout bien compté, cela doit représenter le cinquième de mes avoirs. Elle devrait se trouver à lâabri du besoin.
Le notaire laissa échapper un rire bref, puis il commenta :
â Sans le moindre doute.
â Au moment de son propre décès, ses biens iront aux enfants, en parts égales.
â Ainsi le veut la tradition.
â Et son propre testament aussi, ajouta Thomas. Elle vous lâa dicté lâété dernier. Nous nâavons pas de secrets, à ce sujet.
Lâhomme tenait à ce que sa femme puisse continue à mener une vie confortable, si elle devenait veuve. Toutefois, au bout du compte, il souhaitait voir le patrimoine familial revenir à ses enfants.
â Quant à ma belle-fille, continua Dupire, en plus dâune dot généreuse au moment de son mariage, vous lui consentez lâune des cinq parts de vos entreprises.
â Exactement.
â LÃ aussi, vous respectez les usages.
Le convalescent essuya machinalement le coin gauche de sa bouche avec son mouchoir, demeura songeur un moment.
â Son mariage nâest pas un succès, nâest-ce pas? murmura-t-il.
â Je ne sais pas si je peuxâ¦
â Nous
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