La mort bleue
satisfait.
La jolie blonde, mère depuis très peu de temps, baissa les yeux, les joues un peu roses. Reprise successivement par les deux hommes présents, elle se donna congé de conversation pour un moment.
â Mais lâaltercation avec ces soldats ne fut pas le seul sujet de conversation de la Basse-Ville, hier, remarqua en riant Louis Lavigueur. Lâarmée a un nouveau volontaire.
Très vite, le récit de la visite dâAugustin Couture dans les locaux administratifs avait fait le tour du magasin. Chacun des employés lâavait répété à une reprise au moins à une connaissance de passage au magasin. à la fermeture des commerces, lâévénement avait été commenté dans tous les établissements de la rue Saint-Joseph.
â Tu imagines combien les forces de lâempire se trouvent augmentées, maintenant, ricana Ãdouard, avec un volontaire de ce genre.
Son amusement sonnait faux. Discrètement, son regard se porta sur Ãvelyne, cherchant sur son visage une trace de soupçon. Louis Lavigueur connaissait sans doute la teneur de tous les mots échangés : son air amusé ne tenait pas quâà la nouvelle recrue de lâarmée. Une solidarité bien masculine lâempêcherait sans doute de se faire plus explicite.
â Cet homme a travaillé longtemps pour ton père, commenta sa jeune épouse.
â ⦠Pendant plus de dix ans.
Elle ne devait se douter de rien, songea-t-il. Si elle savait, la meilleure attitude serait de nâen rien laisser paraître. Surtout, il convenait de ne pas se troubler, de présenter toujours le même visage affable.
â Tout de même, câest curieux de le voir se porter volontaire.
â Câest un peu à cause de moi, je pense.
Elle ouvrit de grands yeux sur son mari, sans comprendre.
â Il devait craindre de perdre son emploi. Il dépendait maintenant de moi, en tant que directeur.
â Mais quâavait-il à redouter? Nâeffectuait-il pas son travail de façon satisfaisante?
â Depuis des années, convaincu que mon père le protégerait, il a multiplié les impertinences à mon endroit. Son temps dâimpunité venait de se terminer, il lâa compris.
Les changements de régime sâaccompagnaient parfois de disgrâces soudaines, les jeunes dames Picard et Lavigueur le comprenaient bien. Toutefois, lâenrôlement paraissait à cette dernière une réponse démesurée à la menace dâune mise à pied. Elle exprima son doute :
â Il nâavait quâà aller frapper à la porte des entreprises voisines. Depuis 1914, mon beau-père se plaint de ne pas dénicher de personnes compétentes. Lui-même se serait sans doute montré intéressé par ses services.
â Mais je pense que Couture cherchait un environnement masculin, exclusivement masculin, rétorqua Ãdouard en esquissant un mouvement de la main, comme pour chasser une mouche.
Lâallusion échappa totalement à son interlocutrice. Louis Lavigueur préféra ramener lâattention sur un terrain plus sûr :
â Maintenant, tu devras trouver à le remplacer. Comme vient de le faire remarquer mon épouse, les emplois sont dorénavant plus nombreux que les candidats. Ce ne sera pas si simple.
â Câest pourquoi je ferai comme les contremaîtres des usines de munitions, je chercherai une candidate.
â Tu veux dire une femme?
â Plus personne nâembauche des hommes à des postes de secrétaire. Les femmes font aussi bien, pour la moitié du salaire. De surcroît, elles sont plus dociles.
Une ombre passa sur le visage dâÃvelyne. Depuis un moment, elle jouait dans son potage du bout de sa cuillère. Assise en face dâelle, lâépouse Lavigueur lui demanda, afin de la ramener dans la conversation :
â Le petit Thomas va toujours bien?
â ⦠Comme un charme. Après tout, la plupart du temps, il est le seul homme de la maison, avec quatre femmes pour sâoccuper de lui⦠docilement, dirait Ãdouard.
â Je comprends, câest un peu la même chose avec Louis. Le commerce lui laisse bien peu de temps, et après la fermeture, son père semble incapable de se passer de lui. Je demeure seule avec ma fille.
â Au moins, vous habitez votre propre maison!
La jeune épouse
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