La mort bleue
six autres se firent entendre. Le frère enseignant se laissa tomber sur sa chaise, plaça sa main devant sa bouche avec lâespoir dâempêcher les germes dây pénétrer. Depuis le matin, un adolescent sur trois paraissait couver un vilain rhume.
9
Le vendredi matin, 20 septembre, le docteur Hamelin se trouvait de nouveau à lâHôtel-Dieu, la sÅur directrice à ses côtés. Une demi-douzaine de ses patients avaient été admis la veille. Il espérait les sauver tous, sans trop se bercer dâillusion, toutefois. Depuis le corridor, il entendait les quintes de toux se succéder, lâune se déclenchant avant même que la précédente ne se soit arrêtée.
â Les symptômes sont toujours les mêmes, résuma-t-il. Une immense fatigue, des douleurs musculaires, une bonne fièvre, puis la toux. La plupart du temps, les gens prennent du mieux très vite. Je dirais en un maximum de cinq jours. Parfois, les choses ne reviennent pas à la normale. Ces malades viennent alors me consulter à mon bureau.
â Et certains parmi eux connaissent de véritables complications, continua la religieuse.
â Les plus gravement atteints font une pneumonie.
â Dont un sur deux, Ã la fin, ne se remet pas, conclut la directrice.
Hamelin nâaurait pas su établir un constat de ce genre, limité à lâéchantillon restreint de sa propre clientèle. Devant son regard interrogateur, son interlocutrice précisa :
â Je ne suis pas certaine de ce chiffre, mais notre morgue ne suffit plus à recevoir tous les corps, en attendant que les familles les récupèrent.
Ils avaient terminé de faire le tour des salles et le médecin pouvait déjà deviner que deux ou trois personnes iraient encombrer le petit local réfrigéré du sous-sol dans les vingt-quatre prochaines heures.
â Le plus étrange, câest lââge des victimes, murmura-t-il.
â De jeunes adultes. Ceux qui, habituellement, se remettent sans trop de difficulté dâune infection de ce genre.
Il acquiesça. Selon son expérience, à quelques exceptions près, seules les personnes âgées mouraient lors des épidémies de ce type. Dans le cas présent, les plus forts paraissaient plus exposés que les plus faibles.
â Jâaimerais que vous examiniez lâune de mes sÅurs, enchaîna la directrice. Vous lâavez aperçue il y a quelques jours.
Il lui emboîta le pas, gravit derrière elle un escalier conduisant sous les combles. Elle frappa à une porte, entra après une courte pause. Les religieuses augustines occupaient de petites chambres très modestement meublées. En plus du lit et dâune petite commode, on y trouvait un prie-Dieu placé devant une croix noire pendue au mur.
Une jeune femme se trouvait étendue de tout son long sous le drap, un corps mince, gracile même. Le visage, encadré de tissus, paraissait bien pâle, couvert de sueur. Hamelin remarqua la teinte bleutée des lèvres.
â Je vous reconnais, déclara-t-il, en prenant place sur le bord du lit étroit. Nous nous sommes rencontrés lundi dernier.
Quarante-huit heures auparavant, alerté par une toux creuse et des yeux cernés, il lui avait recommandé de faire attention à elle. Elle lui répondit dâun sourire fugace.
â Je vais vous examiner.
La jeune fille de Dieu se raidit un bref instant alors quâil posait les extrémités de son stéthoscope dans ses oreilles. La directrice murmura :
â Attendez que je vous aide.
Elle préférait écarter elle-même les bords de la chemise, et les maintenir de façon à ce quâil puisse passer le disque de son appareil sur la poitrine, sans jamais apercevoir les pointes des seins. Si la jeune vierge exprima dâun mouvement des yeux combien sa pudeur souffrait de la situation, le rose ne lui monta même pas aux joues.
« Son cÅur ne bat plus avec assez de force pour cela », songea le médecin. Il enchaîna à haute voix :
â Soulevez-la un peu, jâaimerais écouter dans son dos.
La directrice passa doucement son bras autour des épaules de la sÅur, lâaida à se mettre en position assise. Hamelin jugea inutile de relever la chemise de lin afin de poser son instrument sur la peau nue. Un moment plus tard, il aidait
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