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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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premiers mots de l’explication avaient suffi à amener l’employé à moins de désinvolture. Les « messieurs distingués » méritaient certains égards. Puis, le mot « contagion » ravivait le souvenir des grandes catastrophes du siècle précédent, quand des bateaux chargés d’immigrants apportaient le choléra sur les rives du Saint-Laurent.
    â€” J’ai remarqué aussi que plusieurs marins toussaient. Certains ont même des mines de déterrés, ces derniers jours. Curieux tout de même, nous ne sommes pas dans la saison de la grippe.
    L’anomalie sautait aux yeux d’un employé du port, mais elle semblait échapper au médecin hygiéniste de la Ville, constatait Hamelin. Le sens commun prévalait parfois sur les longues études. Il hocha la tête, puis s’enquit :
    â€” Pas de décès?
    â€” Sur les navires? Non, pas à ma connaissance, mais les capitaines se font discrets à ce sujet. Aucun d’entre eux ne veut passer des jours et des jours en rade. Le temps, c’est de l’argent…
    L’homme marqua une hésitation, comme si une information lui revenait à l’esprit.
    â€” Savez-vous quelque chose?
    â€” La semaine dernière, une douzaine de gars ont été hospitalisés.
    â€” C’est beaucoup!
    â€” Pas tant que cela. Avec la guerre, le port a été très occupé depuis la fonte des glaces. Cela veut dire que des milliers de matelots débarquent ici toutes les semaines, pour des escales plus ou moins longues.
    Le conflit entrait dans une phase cruciale, les sous-marins allemands se faisaient moins menaçants. L’Atlantique devenait un chemin très fréquenté, tout ce qui pouvait flotter passait d’un continent à l’autre, chargé de marchandises diverses.
    Le gros homme prit le temps de s’éponger le front, puis il poursuivit le fil de son idée :
    â€” Dans ce cas-là, le plus bizarre, c’est que les marins malades venaient de deux navires seulement. D’habitude, il y a un malade ou un blessé ici, un autre là…
    â€” D’où venaient ces bâtiments?
    â€” De la Nouvelle-Angleterre.
    L’article de La Patrie lui revint en mémoire. La contagion devait toucher aussi le port de Boston. De là, elle essaimerait sans doute sur tous les océans. Hamelin inclina la tête en guise de remerciement, demanda encore :
    â€” Avez-vous le téléphone?
    â€” Vous voulez rire! C’est tout juste s’ils me permettent d’apporter cette chaise de chez moi.
    * * *
    Une fois revenu à la Haute-Ville, chercher un téléphone ne servait plus à rien. Hamelin se présenta à l’entrée principale de l’hôtel de ville, dans la rue Desjardins, sans s’être annoncé.
    â€” Le docteur Paquin se trouve-t-il dans son bureau? demanda-t-il au planton en uniforme, de faction près de la porte.
    â€” Qui désire savoir cela?
    â€” Le docteur Charles Hamelin.
    L’évocation de sa profession agit de nouveau pour réduire la nonchalance de son interlocuteur.
    â€” Je l’ai vu entrer ce matin, je ne sais pas s’il se trouve encore dans la bâtisse. Vous savez où est son bureau?
    L’homme ne paraissait guère disposé à lui servir de guide dans le grand édifice municipal. Sur un hochement de tête affirmatif, le visiteur s’engagea dans un long couloir, gravit un escalier avant de se trouver devant une porte ouverte. Il frappa légèrement sur le cadre pour attirer l’attention de l’occupant des lieux, demanda ensuite :
    â€” Docteur Paquin, puis-je prendre un peu de votre temps?
    â€” … Il me semble vous connaître.
    â€” Hamelin. J’ai été dans votre classe, il y a au moins dix ans. Surtout, j’ai participé à quelques réunions du Comité d’hygiène.
    Homme au cœur sensible, ce praticien endurait mal le défilé des patients dans un cabinet de consultation. Aussi son temps se partageait entre son emploi de médecin hygiéniste au service de la Ville de Québec et celui de professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval, située tout au plus à quelques minutes de marche.
    â€” Je vous replace maintenant.
    De la main, il désignait la chaise devant son bureau.
    â€” Qu’est-ce

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