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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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idées, tandis que coulait un bain à peine tiède. Son voyage lui avait déjà appris un élément essentiel : Marie Sklodowska n’avait eu aucune peine à abandonner sa ville natale, pour partir définitivement à Paris malgré un amour passionnel pour sa famille et pour la Pologne martyre. De toute façon, elle n’avait pas eu le choix : sous la coupe des occupants russes, l’université de Varsovie n’admettait pas de femmes parmi les étudiants. Une jeune femme dotée d’une vocation scientifique n’avait d’autre ressource que de s’enfuir d’un pays opprimé et arriéré. Il n’était pas nécessaire d’imaginer une mission d’espionnage.
    La baignoire se mit à déborder et Raoul s’y plongea avec délices. Depuis plusieurs années il n’avait jamais souffert de passer deux jours sans prendre de bain.
     
    Marie Sklodowska était née dans la vieille ville de Varsovie, rue Fréta, le 7 novembre 1867. Selon la coutume, elle avait été baptisée presque tout de suite, tant on craignait la mortalité des nourrissons et leur décès sans sacrement. Le lieu de ce baptême ne pouvait être que l’église paroissiale, dite du Saint-Esprit, située dans la même rue.
    Dès le lendemain de son arrivée, Raoul, accompagné d’un interprète fourni par le consul, se fit transporter par un fiacre jusqu’à l’église. Le prêtre qui les reçut parlait un français approximatif, mais tout à fait compréhensible. Raoul se présenta comme un délégué du ministère de l’Instruction publique, chargé de préparer le discours du ministre, à l’occasion de la prochaine élection de Marie à l’Académie des sciences. Il prétendit devoir rassembler des documents pour illustrer une plaquette commémorant ce grand événement et, en particulier, une photographie des lieux de la naissance, du baptême, ainsi qu’une reproduction du document. L’abbé avala l’appât et l’hameçon sans problème. La gloire parisienne d’une Polonaise éveillait en lui une fibre patriotique annulant tout autre réflexe.
    Dans la sacristie, il extirpa d’une armoire fermée à clé un registre couvrant les années 1860 à 1870. Il feuilleta gravement le volume jusqu’au mois de novembre 1867, sans découvrir de baptême durant ce mois. Il prolongea sa recherche en décembre, puis en janvier et février 1868. Pas de trace d’un bébé Marie Sklodowska. Raoul lui demanda de pouvoir consulter à son tour le registre. Il ne lui fallut pas longtemps pour découvrir qu’une page, correspondant sans doute au mois de novembre 1867, avait été proprement découpée jusque dans le pli de la reliure.
    Il était arrivé trop tard. Sans faire remarquer au prêtre la mutilation du registre, il l’interrogea habilement pour savoir si d’autres personnes s’étaient intéressées à Marie durant ces derniers temps. Le prêtre confirma qu’il avait reçu la visite d’un autre monsieur français, deux semaines plus tôt. Très distingué, bien habillé, il avait longuement pris des notes dans la sacristie sur toute la famille Sklodowska, parents, frères et sœurs de Marie. En partant, il avait laissé une aumône considérable pour la restauration de l’église.
    Raoul remercia le curé, prit à tout hasard un cliché de la nef de l’église et un autre des fonts baptismaux et se retira, la rage au cœur. Non seulement il ne pourrait jamais fournir la preuve que Marie n’était pas juive, mais il hésitait maintenant entre deux hypothèses. Soit elle avait été baptisée et ceux qui lui voulaient du mal en avaient supprimé la preuve, soit elle était juive et ceux pour lesquels elle travaillait en secret tentaient de le dissimuler.

VI
    Sur le morceau de papier que Marguerite Borel avait glissé à Raoul se trouvait une adresse, « Pension Engiadina , Scuol, Grisons, Suisse », la seule trace pour retrouver Marie Curie avant qu’elle retourne à Paris affronter des dangers qui ne seraient pas seulement académiques. Une fois qu’il eut constaté qu’à Varsovie il n’y avait plus que des pistes sans issues, Raoul se rabattit vers la Suisse.
    Le trajet fut plus court et moins pénible qu’à l’aller, parce qu’il passait par Vienne où Raoul prit une nuit de repos à l’hôtel Sacher , en face de l’Opéra. En été, on y jouait des opérettes. Il en profita pour assister à une des premières représentations du Comte de Luxembourg, parce qu’il avait apprécié La Veuve joyeuse, qui avait été jouée à

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