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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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Fauré qui étaient pratiquement ignorés outre-Rhin. Par ailleurs, George entretenait secrètement des idées socialistes, ce qui n’en faisait pas un suppôt de l’empereur Hohenzollern. Comme Raoul, il pensait que tout devait être fait pour éviter qu’éclate cette guerre que tant d’officiers des deux côtés appelaient de leurs vœux, pour parfaire leurs plans de carrière. Deux ou trois cents généraux de brigade approchant de l’âge de la retraite impérative pour leur grade, en France et en Allemagne, cela constituait un véritable baril de poudre.
    George aborda Raoul, une coupe de dom-pérignon à la main, car la République faisait bien les choses, à la manière des notables de province. Au-delà de la cordialité superficielle de mise dans cette circonstance, il semblait désireux de parler à Raoul. Il ne lui transmit aucune information, mais le bombarda de questions sur deux sujets : la radioactivité et les cristaux piézoélectriques. Le premier phénomène ne pourrait-il pas permettre de créer une arme tellement dévastatrice qu’elle empêcherait toute guerre désormais ? Le second ne constituait-il pas une possibilité de détecter les sous-marins, de façon à les empêcher de nuire ?
    Le message était habilement transmis. George n’avait donné aucune information, mais il avait feint d’en solliciter. Comme la physique constituait le moindre de ses intérêts et le lieu de son ignorance la plus totale, le simple usage de ces mots signifiait qu’il en avait entendu parler dans le cadre de l’ambassade, qu’il était intrigué et inquiet à l’idée d’une entreprise d’espionnage visant la science française et qu’il souhaitait que la France sache ce qui se préparait. Raoul se garda bien de lui répondre. George ne fut pas dupe et n’insista pas, dès qu’il eut la certitude que son message avait été bien reçu. Ils parlèrent des dernières études de Fauré que tous les deux déchiffraient avec plaisir.
    Quelle joie inouïe de savoir que l’on vivait en un lieu et en une époque où une musique de cette qualité se composait jour après jour dans la ville que l’on habitait ! Raoul oublia Florence, Fallières, Daudet, Leclair, Lebirne pour se plonger pendant une demi-heure dans une discussion passionnante avec un être qu’il aimait vraiment, tout Allemand qu’il fut. Il contemplait la chevelure blonde tirant sur le roux de Stefan George, sa petite moustache, ses joues trop roses, son binocle d’intellectuel. Un bref instant, il eut une vision atroce de chevelures pareilles, fauchées comme du blé par les mitrailleuses françaises.
    Quand il revint le soir à son appartement, il mit Arsène Champigny au courant de cette conversation sans nommer George. La collecte d’informations sur la radioactivité par l’ambassade d’Allemagne menait inévitablement au laboratoire de Marie Curie ; celle sur la piézoélectricité à celui de Paul Langevin. La convergence des deux était pour le moins inquiétante. Il chargea Champigny de demeurer à Paris et d’organiser, avec la préfecture de police, une surveillance serrée de tout le courrier et de toutes les conversations téléphoniques qui pourraient être adressés aux deux amants présumés, même en leur absence. Il recommanda la plus grande discrétion. Pas question de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Avec un à-propos sidérant, Arsène approuva :
    — Patron, je n’ai jamais confondu la mission d’un éléphant et la fission d’un élément.
     
    Le 15 juillet à la gare de l’Est, Raoul s’embarqua seul dans le train de nuit pour Berlin, Varsovie et Moscou, qui faisait, en cette dernière ville, la correspondance avec le Transsibérien. Il avait toujours rêvé de l’emprunter. Huit jours de chemin de fer avec Stefan George, par exemple, pour parler de musique, de littérature et de peinture au milieu des barbares les plus repoussants. Cette fois-ci, il s’arrêterait à Varsovie pour une médiocre entreprise d’espionnage mondain. Quand serait-il libre d’arpenter la planète comme son ami Valéry Larbaud, qui avait hérité d’une source des eaux de Vichy ? Les forêts en Ardenne autour du château de Fresnois ne rapportaient guère et les fermages pas beaucoup plus. Le monde qui advenait inéluctablement appartiendrait à des industriels, des commerçants, des banquiers, des gens sans vision, sans honneur et sans culture.
    À huit heures du soir, la foule

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