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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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perdues ?
    De temps en temps, il allait au wagon-restaurant pour tuer le temps, boire une bière, fumer un cigarillo en rêvassant. Il ne fit aucune connaissance digne d’intérêt, se contenta d’échanger des saluts protocolaires avec quelques personnes dont le rang s’évaluait à leur tenue, évita quelques raseurs en plusieurs langues, échappa aux entreprises d’une demi-mondaine défraîchie en quête d’un ultime jobard.
    À partir de Berlin, il plongea dans sa seconde nuit. Le gardien du wagon-lit collecta son passeport, de façon qu’il ne soit pas réveillé lors du passage de la frontière russe. Il expliqua à Raoul qu’il était opportun d’y glisser un billet de banque, afin que la douane renonce à fouiller son compartiment au milieu de la nuit. Comme les policiers et les douaniers russes étaient très mal payés, la coutume s’était petit à petit établie. À ne pas les corrompre, Raoul risquait des vexations démesurées. Il fit remarquer qu’il était en possession d’un passeport diplomatique et qu’il s’opposerait de toute façon à ce que ses bagages soient fouillés. Le gardien partit en maugréant à tel point que Raoul le soupçonna de convoiter sa part du butin.
    Effectivement, il fut réveillé au milieu de la nuit par des coups violents portés sur sa porte. Il ouvrit et tomba nez à nez avec une sorte de Cosaque d’opérette, portant un bonnet de fourrure, malgré la canicule qui était bien pire qu’à Paris. L’individu baragouinait un sabir slave que Raoul dédaigna d’écouter. Il fit de son corps un barrage pour empêcher l’autre de franchir la porte. Ensuite, il se mit à hausser le ton, sachant par expérience que les hurlements produisent un effet assuré dans toutes les armées du monde. Comme il ne savait trop quel discours tenir à l’égard d’un interlocuteur qui ne le comprendrait pas, de toute façon, il choisit de réciter à tue-tête la tirade de Flambeau dans L’Aiglon de Rostand. À son avis ce n’étaient pas de bons vers, mais ils avaient le mérite d’être tonitruants :
     
    Et nous, les p etits, les obscurs, les sans-grade,
    Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
    Sans espoir de duchés ni de dotations ;
    Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions…
     
    Le Cosaque parut impressionné, puis ahuri et enfin paniqué. Il déguerpit et revint avec un officier qui parlait parfaitement le français et qui reconnut la tirade. Mis au courant, ce dernier jeta un coup d’œil au passeport de Raoul, puis éclata à son tour en cris barbares, accompagnés de coups de pied à destination du Cosaque. L’officier se répandit en excuses, s’écrasa littéralement lorsqu’il apprit que Raoul représentait le président de la République française, allongea une ration supplémentaire de coups de cravache au Cosaque.
    Après avoir passé un pantalon sur sa chemise de nuit, Raoul ne put éviter d’accompagner l’officier dans son bureau, où fumait un samovar. Pour sceller la réconciliation, il dut ingurgiter coup sur coup trois grands verres d’une vodka qui n’avait aucun goût. Le train resta en douane le temps nécessaire pour que l’officier raconte à Raoul ses virées à Paris, demande des nouvelles de quelques restaurants, boîtes de nuit et bordels dont il avait été un client assidu. Il avait gardé un souvenir ému d’une certaine Germaine de Clichy, dont la virtuosité érotique dépassait l’imagination d’un Russe de bonne famille.
    Au moment de prendre congé de son visiteur, le Russe le reconduisit jusqu’au wagon-lit en toute hâte car le train avait pris pas mal de retard. Mais telle était la loi que découvrit Raoul : en Russie, le temps se déroule par saccades, on ne court que pour attendre et on n’attend que pour courir.
    À l’arrivée à Varsovie de grand matin, fort heureusement, le consul de France l’attendait sur le quai. Il était accompagné de son chauffeur qui chargea les valises de Raoul, seule façon selon le consul d’éviter qu’elles ne soient volées. Le moteur de la voiture du consulat ne tournait pas rond, les freins tiraient à gauche, un nuage de fumée empanachait l’échappement. Les rues étaient sales, les façades mal entretenues. Une fois à l’hôtel, Raoul découvrit une robinetterie datant du déluge, des peintures écaillées, de la poussière au sommet des meubles, des trous de mites dans le couvre-lit.
    Resté seul, il s’assit et rassembla ses

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