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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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courrier était parvenue une lettre de Florence que Raoul décacheta et lut à la lumière de la torche électrique. L’écriture était toujours aussi minuscule, comme si l’objet de son amour avait eu peur de gaspiller l’encre ou le papier. Les phrases se conformaient aux conventions, au point que Raoul se demanda si elles n’étaient pas recopiées d’un livre de modèles. Florence était aussi parfaite que les héroïnes des romans les plus convenus. Était-elle réelle ?
    Sa mère s’était foulée une cheville. Entorse très spéciale qui ne se manifestait par aucun gonflement, au point de déconcerter le médecin. La saison à Deauville était toujours aussi ennuyeuse. Florence avait appris à jouer au whist. Elle déchiffrait les Études de Fauré, mais uniquement parce que Raoul les lui avait recommandées. Elle continuait de préférer Chabrier, Gounod, Massenet et surtout son cher Chopin. Les chats et les chiens de la maison se portaient bien. Mme de Luces avait renvoyé une femme de chambre, sans en expliquer la raison à Florence, mais celle-ci précisait qu’elle n’était pas dupe et qu’elle l’avait devinée. Elle plaignait beaucoup cette pauvre fille que son manque d’éducation avait mise dans ce « fâcheux » état. La saison des fraises et des asperges était terminée à son grand désappointement, car elle avouait sa gourmandise. Elle essayait néanmoins de se corriger afin d’être digne de devenir l’épouse du comte Thibaut de Mézières. Raoul plia soigneusement la feuille et la glissa dans son portefeuille. Il n’en recevrait pas une autre avant longtemps, car Mme de Luces avait limité leur correspondance à un échange par mois. Elle lisait aussi bien les lettres qui partaient que celles qui arrivaient. Il ne serait pas dit qu’elle n’avait pas rempli ses devoirs de mère jusqu’au bout malgré une santé défaillante.
     
    La pension Engiadina ne fut pas difficile à trouver, bien que toutes ses lumières, sauf une seule, fussent éteintes. L’accueil en revanche fut glacial. Le patron était resté debout dans le seul but d’attendre ce client, qui arrivait à une heure indue. À Scuol, on dînait à six heures, précisa-t-il d’emblée dans un allemand zozotant, on se couchait à neuf et on se levait aux aurores, car le petit déjeuner était servi dès six heures du matin. À dix heures du soir, il n’y avait plus rien à manger, et le seul souhait d’un repas aussi tardif fit naître dans le regard de l’aubergiste des soupçons marqués par un froncement spectaculaire de ses sourcils qu’il avait très épais. Ces Parisiens étaient des débauchés comme il en avait toujours nourri le soupçon.
    La chambre de Raoul était une sorte de caisse, intégralement construite en sapin, murs et mobilier. Une, seule salle de bains servait pour toutes les chambres. Les bains devaient se commander à l’avance, car il fallait chauffer l’eau à la cuisine et la monter dans des seaux. Les toilettes se trouvaient au rez-de-chaussée. En revanche le lit était ample, couvert d’un édredon mousseux. Raoul enfila son pyjama et s’effondra sur sa couche, tout en râpant ses talons sur les draps de lin rugueux. Il s’endormit tout de suite, sans rêver ni de Florence ni de Marie.
    Quand il se réveilla et ouvrit les volets, il faisait un grand soleil, les cloches des vaches résonnaient dans les environs. Arsène alla chercher de l’eau chaude à la cuisine pour le raser. La fenêtre grande ouverte laissait entrer l’odeur du foin et du fumier, ainsi qu’une conversation dans une langue étrange entre deux passants.
    Comme un élixir magique, un parfum de café montant de la salle à manger déclencha l’appétit des deux Français. La pièce ne comptait qu’une seule grande table, massive, rectangulaire, en sapin brut. Raoul en fut ravi. Il ne pourrait pas ne pas entrer en contact avec Marie. Car il fallait feindre la surprise dans un premier temps. Raoul, riche amateur de voyages, se déplaçait au hasard de sa fantaisie dans une somptueuse limousine conduite par un fidèle chauffeur muni d’une casquette réglementaire. Il proposerait tout naturellement de faire découvrir le pays aux filles de Marie, et celle-ci serait conquise par l’idée, chez elle obsessionnelle, d’élargir leurs connaissances.
    Quant Raoul entra dans la salle à manger, il eut la surprise de sa vie. Il n’y découvrit pas Marie et sa petite famille, mais un homme encore jeune, de

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