La mort de Pierre Curie
il sortit deux semelles métalliques, de la tôle d’acier découpée au format des souliers.
— Je suis blindé contre le champ magnétique. Je suis protégé et je dois protéger. Je devais protéger le professeur Curie, je n’y suis pas arrivé. C’est ma faute. Je mérite la mort, mais j’ai peur.
Raoul sortit dans le hall avec Arsène Champigny et entama une discussion à voix basse. Pierre Leclair n’avait pas toute sa raison, mais il n’avait peut-être pas tort quand il prétendait être menacé. Il fallait le protéger au moins quelques jours pour essayer d’en tirer quelques phrases cohérentes. Le mieux était de le conduire à la préfecture de police et de demander qu’il soit mis en observation dans une cellule. Raoul le reverrait le lendemain dans les locaux de la Préfecture. Arsène estimait aussi que c’était la meilleure solution pour l’instant et il s’offrit à l’y mener. La Peugeot était toujours en stationnement dans la rue.
Quand ils rentrèrent dans le bureau, Pierre Leclair était toujours sur sa chaise, un peu plus tassé, un peu moins alerte. Il refusa d’être conduit au Quai des Orfèvres et prétendit qu’il y serait encore plus en danger qu’il ne l’était actuellement. Il ne fallait pas que la police mette la main sur lui. Raoul hésita et retourna dans le hall pour un second colloque discret avec Arsène Champigny.
— Que penses-tu de sa réaction, Champigny ? Il a peur de la police comme tout le monde. Il n’imagine pas qu’elle puisse le protéger.
— Pour un Parisien, police égale matamores qui traquent et qui matraquent à mort. Il se voit déjà passé à tabac pour lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire. Bien entendu, si on l’amène au Quai des Orfèvres et si on ne demande rien aux inspecteurs, ils le laisseront tranquille en cellule. Sauf si…
— Sauf si quoi ? Champigny, ne me pose pas de devinette !
— Ce lampiste papiste est peut-être mouillé dans les basses œuvres d’une police qui tient à s’en débarrasser. Dans ce cas, il risque de tomber dans l’escalier sur sa pauvre tête qui éclatera comme celle de son patron. Il faut le planquer ailleurs.
Raoul appela Élisabeth Greffulhe depuis le combiné qui se trouvait dans sa chambre à coucher. Par bonheur, il n’eut pas besoin d’attendre trop longtemps. Élisabeth prenait le café sur la terrasse avec quelques invités. Pour son cousin, elle les planta et vint au bout de la ligne. Raoul lui expliqua la situation et elle accepta tout de suite de l’aider. Elle pouvait installer Pierre Leclair dans la loge des gardes-chasses qui se trouvait à l’entrée du domaine de Bois-Boudran. L’un d’entre eux était toujours présent pour ouvrir la grille aux visiteurs. Il y avait des fusils dans la loge en cas de coup dur. Le protégé de Raoul serait non seulement en lieu sûr, mais il se referait vite une santé avec les bons produits de la ferme. Il y avait au château tout ce qu’il fallait pour le rhabiller décemment et même mieux qu’il ne l’avait jamais été.
Élisabeth alla plus loin. Toute cette aventure la mettait dans un état d’excitation que Raoul lui connaissait bien. Privée du statut d’électrice, la comtesse de Greffulhe s’était créé sa propre définition de citoyenne. Elle avait non seulement été mêlée à de nombreuses intrigues, mais elle en avait ourdi bien plus que ne l’imaginaient ceux-là mêmes qui en avaient été les pantins. L’idée de dénouer le nœud de vipères dont était prisonnière Marie Curie la remplissait d’une ardeur sauvage. Elle promit d’amadouer Pierre Leclair, de le circonvenir, de l’inviter éventuellement à prendre le thé, de le confesser, de le plaindre, de le flatter et, en un mot, de le domestiquer comme ces chiens agressifs qui font le meilleur ornement d’une meute après qu’on les a apprivoisés. Mené jusqu’à ce point, peut-être se mettrait-il à parler. Le confort de Bois-Boudran et le charme de la maîtresse des lieux avaient déjà suscité maintes confidences qu’il n’avait pas fallu arracher brutalement.
Une fois que Champigny et Leclair furent partis vers la Seine-et-Marne, Raoul se sentit une faim de loup. Il prévint Félicie de servir après avoir réchauffé un déjeuner qui avait déjà eu plusieurs fois le temps de refroidir. Il passa à la salle à manger en espérant que cela activerait le service. Il eut tout le loisir de méditer car Félicie avait horreur
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