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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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l’après-midi avec Paul Langevin à Fontenay-aux-Roses. Une lettre de Paul Langevin datée du 18 avril manque dans la correspondance. On peut donc supposer qu’elle est aussi tombée sous les yeux de Pierre Curie qui l’a gardée ou détruite.
    « À ce moment, Marie n’est certainement pas la maîtresse de Langevin, si jamais elle le fut par la suite. Mais pour Pierre, l’éloignement affectif de Marie constitue une souffrance intolérable. Tel est le scénario possible d’un suicide de Pierre Curie.
    — Il y a des possibilités de crime passionnel ?
    — Oui. Le premier aurait pour auteur André Lebirne. Je dispose de témoignages attestant qu’une dispute bruyante a éclaté entre Paul Langevin et André Lebirne, sans doute lorsque ce dernier a constaté que sa patronne, qu’il vénère et dont il est secrètement épris, a choisi un amant. Pour une raison inexplicable et inexpliquée, il n’est pas averti de la mort de Pierre Curie, alors qu’il se trouve au laboratoire.
    « Un second aurait pu être commis par un certain Lamotte, qui courtisa Marie dès 1894, bien avant qu’elle épousât Pierre. C’est le prototype de l’amoureux transi mais tenace : il lui envoya une suite de missives, aussi respectueuses qu’insipides. Manifestement elle l’éconduisit, mais elle garda pourtant ses lettres, je me demande pourquoi. Dix ans plus tard, était-il encore suffisamment épris pour se débarrasser de Pierre par une bourrade bien placée rue Dauphine ? Sait-on jamais ?
    — Donc, l’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’un coup porté par la préfecture de police ?
    — Je le crains, monsieur le président, mais je n’irai pas plus loin dans cette voie sans une concertation préalable avec M. le préfet de police. Au point où nous en sommes, il faut que vous le convoquiez si vous désirez être au clair sur cette affaire. M. Lépine en sait d’ores et déjà plus que nous ne l’imaginons.

X
    Le préfet de police Louis Lépine était le roi non couronné de Paris la secrète, car il avait réussi à persuader les politiciens, les financiers, les industriels, les mondains, les officiers qu’il détenait, sur chacun d’eux, un dossier recensant leurs faiblesses cachées. Comme aucun n’était vraiment innocent et comme le contenu des dossiers restait secret, le seul nom de Lépine répandait la terreur et assurait son pouvoir. Cela explique qu’il était demeuré en place depuis 1893, exemple unique dans l’histoire de la police de Paris, qu’il avait été capable de prévenir tous les complots contre la République et que sa longévité personnelle avait conditionné celle du plus durable des régimes que la France ait connus depuis la Révolution.
    Ces prétendus dossiers ne constituaient qu’une astuce de Lépine, destinée à assurer l’autonomie de sa police, si souvent menacée auparavant par l’intervention du pouvoir politique, qui prétendait contrôler sa mission. En deux décennies, Lépine avait réussi à créer dans l’opinion publique l’image d’une maréchaussée intègre, efficace et impartiale. Il n’avait pas hésité à se constituer un capital de sympathie par des méthodes à la limite de la complaisance : l’invention du concours récompensant les petits inventeurs si nombreux dans la population des artisans de Paris ; l’adoption du bâton blanc pour régler la circulation en lieu et place de la sinistre matraque noire ou de l'archaïque baïonnette-sabre avec laquelle se promenaient les gardiens de la paix au siècle précédent, symboles de la répression brutale sinon sanglante des manifestations ; le contrôle d’un rassemblement non autorisé par de gentils coups de pèlerine et la dispersion d’une foule excitée par d’inoffensives lances à eau ; la naissance de l’identité judiciaire et de la police scientifique.
    La droite le haïssait parce qu’il avait réussi à être efficace sans devenir odieux, tandis que les polices de la Restauration ou de l’Empire n’étaient jamais parvenues qu’à être à la fois odieuses et inefficaces. L’Action française le vilipendait dans chaque numéro. Pour Léon Daudet, il était à la fois « petit, barbichu, maigre, quinteux, coléreux, courageux, vil, intrigant, bouché, cupide, grossier, snob, plat et ostentatoire ». Lépine était comme quelques savants, dont les Curie, un des symboles de la République gagnante. Lors de l’affaire scabreuse des Inventaires en 1907,

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