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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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poste est convoité par mon estimable collègue, Célestin Hennion, directeur de la Sûreté générale. Je me demande dans quelle mesure les gaffes à répétition de mes services ne sont pas suscitées en sous-main par celui qui souhaite me succéder et aimerait précipiter mon départ à la retraite. Je ne puis avoir les yeux partout. La préfecture de police comporte en son sein des éléments peu sûrs, ennemis secrets de la République, prêts à passer avec armes et bagages au service d’une France autoritaire, tout aussi capables de servir les desseins d’un État étranger si, d’aventure, la France venait à être vaincue dans la guerre imminente. On ne peut donc ni se passer de la police, ni s’y fier. Même lorsque l’on est le préfet.
    Au terme de cet exposé, Louis Lépine se renfonça dans son fauteuil et dégusta à petites gorgées, comme un moineau, le pineau que le président avait fait servir pour agrémenter l’entretien et lui donner un tour moins formel. Raoul se félicita intérieurement que le préfet n’ait pas rappelé l’origine de la correspondance interceptée, c’est-à-dire lui-même, Raoul Thibaut, qui avait commis là une maladresse, dramatique par ses effets imprévus. Tel était Louis Lépine. En évitant de se créer des ennemis superflus, il se créait des amis nécessaires. Raoul se tut donc et laissa Fallières en venir au nœud de l’affaire.
    — Monsieur le préfet, je vous remercie une fois de plus pour votre diligence à servir les intérêts de l’État. J’aimerais vous entendre sur le point le plus noir de ce dossier. La presse relance régulièrement la rumeur selon laquelle Pierre Curie ne serait pas mort dans un accident en 1906, mais aurait été assassiné délibérément, sans que l’on dise ni pourquoi, ni comment. Quel est votre sentiment ? Mon collaborateur vous a expliqué les éléments qui nous font douter de la version officielle.
    — Monsieur le président, je me suis aussi penché sur cette hypothèse et je ne puis l’écarter. On ne tombe pas sous les roues d’un chariot qui avance au pas dans une rue encombrée. On y est poussé, on s’y jette ou on meurt de tout autre chose au point de s’étaler sur le pavé. J’ai noté qu’aucune autopsie n’avait été pratiquée à la requête de la police, ce qui est contraire à la règle, pour tout décès sur la voie publique. Si Pierre Curie est mort d’un arrêt cardiaque et a été ensuite écrasé, cela change tout, pour la responsabilité du propriétaire du chariot. Il y eut donc négligence de la part du commissaire des Grands-Augustins. Par ailleurs, la présence de ce Pierre Leclair au commissariat dans les minutes qui suivent l’accident n’a pas suscité une légitime interrogation de la part de la police. Que faisait-il donc là ? Pourquoi n’a-t-il pas été interrogé comme témoin ? Ou complice ? Ou acteur de ce drame ? Que de points d’interrogation !
    « Je ne puis écarter une succession de maladresses des enquêteurs de la police. Mais je ne puis pas davantage négliger l’hypothèse d’un meurtre prémédité par X et couvert par la police. En enquêtant dans mes propres services, il se pourrait que l’on découvre une véritable conspiration contre la République, allant jusqu’à l’organisation d’attentats contre des personnalités. Je vous l’ai dit, la droite possède encore de nombreux affidés dans le personnel de la préfecture.
    « Cependant, réfléchissez au désordre que créerait une telle enquête, à la décomposition de la police en deux clans ennemis. Cinq ans après les faits, comment trouver des témoignages nouveaux qui ne relèvent pas de l’affabulation ou de la manipulation ? Cette suspicion doit donc demeurer au niveau de l’hypothèse. Pour l’histoire, Pierre Curie a été victime d’un accident. S’il s’est agi d’un meurtre, il faut accepter que celui-ci demeure impuni et que l’on n’en parle jamais.
    « La raison d’État le veut. Ce n’est ni la première fois ni la dernière que cela advient. Qu’est-ce donc que la mort d’un professeur, rue Dauphine, au regard de tous les soldats tués sur les champs de bataille, passés et à venir, de toutes les filles jetées à la rue par la misère et mourant de syphilis ou de tuberculose, de tous les voyous victimes de leur milieu auquel on coupe le cou à six heures du matin ? Pierre Curie a eu de la chance en comparaison !
    — Vous prendrez bien un

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