Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
Vom Netzwerk:
minable, meublé à bon marché Faubourg Saint-Antoine, à peine plus reluisant que celui de Pierre Leclair. Chaque pièce comportait un crucifix et une statue de la Vierge. Les draps du lit étaient grisâtres, la poubelle de la cuisine débordait et une pile d’assiettes sales tenait en équilibre dans un évier noir de crasse accumulée. Champigny, ayant ainsi acquis l’assurance que le logis n’était jamais remis en ordre par une femme de ménage, avait travaillé en toute tranquillité. Pour entrer et sortir de l’appartement, il s’était muni de la casquette d’un employé du gaz. Il résuma l’analyse de sa descente en une formule ramassée : « Purée, quelle crèche ! Curé, quel prêche ! »
    Raoul méditait. Tout cela le confortait dans son soupçon sans le justifier pour autant. Il fut tenté de laisser tomber. Après tout, il n’était ni policier ni juge. André Lebirne vivrait avec sa conscience angoissée jusqu’à la fin de ses jours. Poincaré, qui avait succédé à Fallières, ne s’était jamais intéressé à l’affaire Curie, sinon lorsqu’il était avocat pour obtenir un arrangement avec la femme de Langevin. Il ne restait plus à Raoul que l’attrait de l’énigme, à résoudre formellement comme un problème de géométrie. Il fallait énoncer la thèse à partir des hypothèses. Cela ne coûterait qu’un petit effort supplémentaire : une visite à Lebirne. Tout de suite, bien qu’il fut déjà neuf heures du soir.
     
    André Lebirne dissimulait sa médiocrité dans un quartier populaire, la rue de la Roquette, qui va de la Bastille au Père-Lachaise, comme s’il avait désiré à l’avance se rapprocher du terme de sa vie, enfermé dans un appartement étriqué du quatrième étage pour s’entraîner à l’être dans la boîte de sapin. En la parcourant en voiture, Raoul constata une fois de plus que la rue était pauvre sans être misérable, propre à loger des fonctionnaires subalternes. Les magasins encore ouverts abondaient en denrées de dernière qualité, rognons de veau douteux, charcuteries d’aspect inquiétant, fausse huile d’arachide et vin d’Algérie plagiant le bordeaux.
    Par les fenêtres du rez-de-chaussée entrouvertes ce soir d’été, pour capter un peu de fraîcheur, il découvrait des logements lugubres, des édredons crevés, des miroirs cassés, des toilettes cernées de noir, des photographies agrandies qui ressemblaient à des signalements anthropométriques. Chaque bistrot évoquait une station du purgatoire, peuplée d’alcooliques au teint verdâtre. Des gamins traînaient dans la rue. Le milieu restait familial, mais dégradé par l’intempérance du père. Des commères dépoitraillées glapissaient d’un côté à l’autre de la rue pour se plaindre de méfaits conjugaux trop réels.
    Tel était Paris, à l’exception de quelques quartiers, pensa Raoul, saisi une fois de plus par le remords de sa vie opulente. S’il avait eu quelque souci des autres, il serait devenu prêtre et vicaire d’une paroisse pauvre. Il vivait comme un parasite du pouvoir. Il venait ici, non pour rendre la justice mais pour satisfaire sa curiosité, prétendument scientifique. Il eut envie de faire rebrousser chemin à Champigny. Puis, il se ravisa. La vérité méritait toujours d’être connue, ne fût-ce que par un seul homme, avant d’être définitivement enfouie sous l’histoire édifiante de la III e République.
    La voiture s’arrêta. Les fenêtres du quatrième étaient allumées. Raoul ne pouvait pas se dérober. Il chargea Champigny de la garde de la voiture et entreprit l’ascension de l’escalier, qui sentait le chou trop cuit, l’urine de chat et la sueur aigre des gens jamais lavés. Sur le palier, il hésita à nouveau. C’eût été tellement facile de redescendre et de prétendre que Lebirne avait refusé de le recevoir. Il effleura la sonnette, qui émit un zozotement rauque.
    Presque tout de suite, lui sembla-t-il, la porte s’ouvrit, comme si Lebirne avait attendu la visite. Raoul avait préparé sa première phrase :
    — Puis-je entrer un instant ?
    Lebirne ne manifesta aucun étonnement apparent, la visite de Raoul semblait faire partie d’une routine. Sans dire un mot, il conduisit son visiteur vers une pièce incroyablement étroite qui tenait lieu, d’après son mobilier, à la fois de salle à manger, de salon et de bureau. Il désigna l’unique fauteuil à la tapisserie élimée. En s’y

Weitere Kostenlose Bücher