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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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restait un autre, Marie Curie.
    — Selon l’usage de la Sorbonne, elle ne pouvait accéder au rang de professeur.
    — Je sais. C’est bien pourquoi sa nomination n’a été entérinée que deux ans plus tard. Mais de toute façon Lebirne n’eût pas fait le poids. On aurait été chercher quelqu’un d’autre. Il n’y avait pour lui pas d’autre issue que de continuer à servir Marie, après avoir servi Pierre. Il est sans doute très conscient de ses limites.
    — Après cette rencontre sur le trottoir de la rue Danton, que s’est-il passé ?
    — Ils sont partis sous le même parapluie, suivis par le préparateur. Ah non ! Pas tout de suite. Après avoir traversé, Pierre Curie s’est abrité sous une porte cochère et a décacheté la lettre qu’il venait de recevoir. Il l’a chiffonnée et jetée. Puis il est parti l’air pressé, toujours accompagné de Lebirne et suivi du préparateur. Maintenant que vous m’en parlez, je trouve que tout ce cortège était un peu bizarre. Mais Curie était très faible. Les autres l’accompagnaient peut-être de peur qu’il ne se trouve mal.
    — Vous n’avez pas d’idée du moment où ils se sont séparés ?
    — Sans doute après que Curie eut transmis à Lebirne le sentiment de la faculté des sciences à son égard. Mais je les ai perdus de vue.
    Mme Friedel interrompit l’entretien en pénétrant avec un plateau transportant deux verres de citronnade. Elle assura qu’elle avait fait couler longtemps l’eau du robinet pour que celle-ci soit bien fraîche. Un pépin flottait dans la citronnade de Raoul. Il fit de grands efforts pour l’éliminer discrètement sans y parvenir.
    La conversation s’étiola sur des sujets sans grand intérêt, sinon que Raoul découvrit que les époux Friedel étaient toujours persuadés de la culpabilité d’Alfred Dreyfus, qu’ils portaient une dévotion farouche à la Vierge de la Salette et qu’ils étaient des lecteurs assidus de L’Action française. Tout cela, qui était banal dans un appartement sur deux du boulevard Saint-Michel, ne l’était pas dans le contexte de l’affaire Curie.
     
    Arsène revint à huit heures ce soir-là. Il avait fait développer, au laboratoire du Quai des Orfèvres, une moisson de lettres qu’il avait photographiées dans l’appartement d’André Lebirne. Il y avait surtout des missives de Léon Daudet, qui soignait apparemment sa relation avec un homme dénué de tout intérêt, sinon celui de se trouver dans l’entourage des Curie.
    Il flattait Lebirne, lui faisait miroiter une promotion au rang de professeur lorsque la droite aurait reconquis, enfin, le pouvoir. Il le mettait en garde contre les retombées négatives de l’invention diabolique des produits radioactifs. Il prenait très au sérieux la piété extravagante de Lebirne, le rassurait pour quelques péchés de la chair qu’il aurait commis en solitaire, et l’assurait de ses prières à la fin de chaque missive. Il l’avait invité quelquefois dans de bons restaurants : Paillard, Durand, Larue, que Lebirne, qui était glouton, aurait été bien en peine de s’offrir. Il servait enfin de confident patelin de l’amour désespéré que Lebirne vouait à sa patronne : Daudet, qui avait des ressources littéraires, évoquait Tristan et Yseut, séparés dans la même couche par une épée. À l’idée de Lebirne, petit, râblé, ventripotent, chauve, en Tristan, Raoul ne put s’empêcher d’éclater de rire sous le regard inquiet de Champigny. Daudet avait dû bien s’amuser.
    Il y avait une lettre de Marie, une seule, datant de 1907, un an jour pour jour après la mort de Pierre. C’était une lettre de dénégation, d’une infinie gentillesse. Elle répondait à une lettre envoyée apparemment par Lebirne pour lui avouer son amour. Le papier était froissé et fripé, comme si la lettre avait été lue et relue. Champigny l’avait du reste trouvée dans le tiroir de la table de nuit de Lebirne, entre un chapelet, des bonbons pectoraux et des suppositoires contre les hémorroïdes.
    En fouillant sous les piles de linge, où les petites gens dissimulent leurs secrets ; Champigny avait extrait une photo de Mlle Gobycarter, complètement nue, mais vue de profil, ainsi que des photos plus décentes de Miss Madge Lessing, d’Alice Bonheur et de Mlle Welford, comédienne au Vaudeville. La sexualité d’André Lebirne était demeurée au stade de celle du collégien.
    L’appartement était

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