La mort du Roi Arthur
fous, dehors ! cria-t-il. Allez-vous-en, que je ne vous voie plus. Quant au roi, ce cocu du diable, si ceci ne lui plaît pas, qu’il parte, lui aussi, je ne le retiens pas ! D’ailleurs, cela ne le concerne pas : qu’on me laisse, je veux deviser avec la reine Yseult, je ne suis venu que pour lui parler d’amour. »
Or, le roi Mark n’avait nulle envie de sortir. Il se réjouissait fort des paroles du fou et de la raclée qu’il venait d’infliger à quelques-uns de ses courtisans. Mais comme la reine, elle, rougissait et gardait le silence, il s’en aperçut et dit au fou : « Fou, approche et n’aie nulle crainte. Réponds-moi franchement : la reine Yseult n’est-elle pas ton amie ? – Si fait, et je ne songe pas à le cacher ! » Incapable de se contenir davantage, la reine cria : « Mark, fais jeter ce fou dehors ! Il ne sait débiter que sornettes ! – Oh, non ! répondit Mark, pour une fois qu’un fou est drôle, je ne vais pas me priver du plaisir de l’entendre ! »
Se sentant encouragé et soutenu par le roi, le fou reprit : « Ma dame la reine, souviens-toi du dragon que je tuai lorsque je vins en ton pays. Je le décapitai, lui tranchai et emportai la langue avant de la dissimuler dans mes chausses. Hélas ! Son venin me brûla si fort que j’en crus mourir et demeurai longtemps évanoui sur le bord du chemin. Heureusement, ta mère et toi m’avez retrouvé, et vous m’avez sauvé une fois de plus. Que de reconnaissance ne vous dois-je ! Mais tu faillis pourtant me tuer, reine Yseult, quand tu t’aperçus que mon épée était ébréchée et que s’y adaptait le morceau que tu avais trouvé dans le corps du Morholt. Car tu voulus me tuer, n’est-ce pas, reine Yseult, et ce avec ma propre épée ! Ah ! je te vois encore : je me trouvais dans mon bain, et toi, rouge de fureur, tu me brandissais l’épée au-dessus de la tête ! – Je t’en prie, roi Mark, supplia Yseult, fais taire ce vain bavard !
— Au contraire, dit le roi, j’exige qu’il continue ». Alors, le fou dévisagea carrément Yseult. « Reine, dit-il, ose nier la vérité de ce que je raconte. – Oui, s’écria-t-elle, j’ose la nier ! Tu es en train de raconter tes rêves, pauvre fou. Tu étais ivre hier soir lorsque tu t’es couché, et l’ivresse t’a fait divaguer. – Il est vrai, reprit le fou, que je suis ivre, mais d’un breuvage dont je ne pense pas être libéré de sitôt. Ne te souvient-il pas du moment où ton père et ta mère te confièrent à moi ? Ils te conduisirent jusqu’au navire. Je devais te mener à ton futur époux. Et maintenant, je vais te raconter ce que nous fîmes en pleine mer. Nous nous trouvions sur le pont, et il faisait si chaud que tu fus altérée. Alors nous bûmes ensemble dans la même coupe. Et, depuis lors, je n’ai cessé d’être ivre, mais d’une exécrable ivresse qui me torture ! » À ces mots, Yseult s’enveloppa la tête dans les plis de son manteau et se leva pour sortir, mais le roi la retint et l’invita à se rasseoir en la tirant par le pan de son vêtement. « Un peu de patience, chère Yseult, dit-il, je voudrais que nous écoutions cette folie jusqu’au bout. » Puis il reprit à l’adresse du fou : « À présent, conte-nous donc ce que tu sais faire !
— Roi, dit le fou, j’ai servi des ducs et des comtes. – Connais-tu quelque chose aux chiens et aux oiseaux ? – Certainement. Ceux que je possède sont fort beaux. Quand il me plaît de chasser dans les bois avec mes lévriers, je capture les grues qui volent dans les nuages. Avec mes limiers, j’attrape des cygnes. Avec mes oiseaux de proie, je prends des oies blanches ou grises. Et lorsque je ne suis muni que de mon épieu, je mets à mal force butors et poules d’eau. » De plus en plus diverti par ce discours, tout comme le reste de l’assistance, le roi Mark demanda : « Mon ami, dis-moi, et dans les marais, qu’attrapes-tu ? » Le fou éclata de rire puis répondit : « Roi, je capture tout ce que j’y trouve. Avec mes autours, je prends les loups et les ours. Mes gerfauts rapportent des sangliers, mes petits faucons de haut vol des chevreuils et des daims. Avec l’épervier, je prends le renard qui doit sa noblesse à sa queue.
— En somme, dit le roi, tu sais tout faire ! – Bien sûr, et il n’est personne qui puisse me surpasser. Je sais jouer de la harpe et je chante juste. Je sais aimer une puissante reine. Il
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