La mort du Roi Arthur
depuis que nous ne nous sommes vus ? – Assurément non, répondit-il effrontément. – Vraiment ? Eh bien, je me trouve dans une situation des plus fâcheuses ! » Et elle lui narra toute l’histoire, sans omettre que, par là même, elle ne pouvait compter sur l’aide d’aucun des chevaliers présents à la cour.
Bohort demeura coi, de l’air d’un homme qui réfléchit, mais, de fait, bien décidé à pousser la reine dans ses derniers retranchements et à l’obliger à s’expliquer nettement à propos de Lancelot. « Reine, dit-il enfin, que les chevaliers te manquent ne saurait étonner personne, quand tu as manqué toi-même au meilleur chevalier qui soit au monde. Quant à m’affliger, s’il t’arrive malheur, à toi qui condamnes à périr ce preux sans égal, ma foi, non. Au contraire. Puisses-tu apprendre ainsi quelle perte on peut faire en perdant un cœur aussi généreux ! S’il était ici, lui ne manquerait pour rien au monde d’affronter Mador, si mauvaise que soit ta cause. Mais te voici au point, me semble-t-il, de ne trouver personne pour te défendre et d’en supporter la honte. – Bohort ! s’écria Guenièvre, si je ne trouve de secours ailleurs, je sais du moins que je puis compter sur le tien ! – Certainement pas, dame, répondit froidement Bohort. Que Dieu me retire son soutien si je t’accorde le moindre secours ! Tu m’as enlevé l’homme que j’estime le plus au monde, et je t’aiderais ? Plutôt m’efforcer de te nuire autant que je le pourrais ! – T’ai-je donc privé de ton ami ? – Oui, et j’ignore ce qu’il est devenu, ce qui me chagrine au plus haut point. Depuis que je lui ai rapporté la conversation que nous avions eue, toi et moi, à notre dernière rencontre, je ne sais où il est allé, j’ignore même s’il est mort ou vivant. »
En entendant ces paroles, Guenièvre, au comble du désarroi, se mit à pleurer d’abondance, mais Bohort se garda de la consoler. Au contraire, il prit congé d’elle sur un salut des plus revêches, car il n’avait pas oublié comment elle l’avait congédié la fois précédente. « Ah ! s’écria Guenièvre, assez haut pour qu’il l’entendît, ne suis-je née que pour finir mes jours dans de telles douleurs ? » Et, une fois que Bohort se fut éloigné, elle s’agenouilla près de son lit et murmura : « Mon doux ami, je le sais maintenant, les parents du roi Ban ne m’aimaient qu’à cause de toi. Et ils m’abandonnent désormais, parce qu’ils pensent que tu m’as toi-même abandonnée. Non, ce n’est pas possible ! C’est trop injuste ! » Et Guenièvre s’abandonna tout entière à son désespoir.
De son côté, le roi Arthur n’était pas plus serein, faute de voir d’autre issue que la condamnation de Guenièvre. Sa douleur allait sans cesse croissant, et il s’abîmait dans de sombres pensées. Ses tentatives pour convaincre l’un ou l’autre de ses chevaliers de combattre en faveur de la reine avaient échoué. Tous s’étaient en effet récusés, chacun arguant à son tour du fait que, la reine étant dans son tort, il serait déshonorant de prendre son parti. De guerre lasse, Arthur alla trouver Gauvain et lui dit : « Beau neveu, pour l’amour de Dieu et pour l’amour de moi, je te prie de te charger de ce combat contre Mador. Il faut défendre la reine de l’accusation qu’on a portée contre elle. – Mon oncle, répondit Gauvain, tu sais que tes désirs me sont des ordres et que je me suis efforcé de les satisfaire mais, cette fois, il m’est impossible, à mon grand regret, de t’exaucer. Nous savons tous que ta femme a commis le meurtre dont on l’accuse : j’en ai été le témoin, et maints autres avec moi. Je refuse donc de combattre pour elle, car ce serait agir contre mon honneur, et sache qu’il n’est pas encore né, celui pour qui j’accepterais de me déshonorer. » Et, sur ces mots, Gauvain coupa court, abandonnant Arthur à d’horribles angoisses. Après avoir bien réfléchi, le roi alla rejoindre Guenièvre.
« Dame, lui dit-il, tu me vois pis qu’embarrassé. Tous les braves de la cour s’étant dérobés, il ne fait guère de doute que bientôt tu ne doives subir un châtiment honteux. Et il me déplairait moins de me voir dépouillé de tout mon royaume que d’assister à cet affreux spectacle, car je n’ai aimé personne au monde autant que je t’ai aimée et t’aime encore. » La reine fondit en larmes, et le
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