La naissance du roi Arthur
de Cornouailles [92] .
CHAPITRE XII
Excalibur
Il y avait, à cette époque, à Kelliwic en Cornouailles, un
modeste vavasseur qui portait le nom d’Antor. C’était un homme bon et brave,
sage et raisonnable, qui menait une vie exemplaire aux côtés de son épouse et
de ses deux fils, Kaï et Arthur. Kaï était l’aîné. C’était un jeune homme de
haute taille, avec des traits saillants, et d’une telle impétuosité qu’il
fallait toujours prendre soin de le calmer, de peur qu’il ne provoquât quelque
désagrément à ceux qui l’entouraient. Le plus jeune, Arthur, était de taille
moyenne, avait le visage avenant, les traits fins et réguliers, les cheveux
bouclés, la stature large, et un tempérament prudent et réservé. C’était lui
qui réussissait le mieux à freiner les trop vives impulsions de son aîné. Mais,
cela dit, les deux frères manifestaient une grande affection l’un envers
l’autre et ne se perdaient jamais en vaines disputes si fréquentes parmi les
jeunes gens qui sont élevés ensemble. Quant à Antor, il partageait son amour
entre les deux sans faire aucune différence ou préférence. Pourtant, il savait
bien qu’Arthur n’était pas son propre fils, ni celui de sa femme, et n’oubliait
jamais comment, une nuit, un homme inconnu était venu lui confier un enfant
nouveau-né en le priant de l’élever avec tendresse sans chercher à savoir qui
il était en réalité. Et Antor avait tenu sa promesse. Aussi faisait-il tout ce
qui était en son pouvoir pour procurer à l’un et à l’autre la meilleure
éducation qui fût. C’est pourquoi il décida un jour de partir avec eux et de
leur montrer comment vivaient les autres jeunes gens de leur âge lorsqu’ils
apprenaient l’art de chevalerie.
Au cours de leur périple, ils furent reçus à la cour du roi
Loth d’Orcanie. On les accueillit fort courtoisement, et Kaï et Arthur purent
ainsi lier amitié avec les jeunes gens qui s’y trouvaient. Le roi Loth avait eu
trois fils de sa femme Anna. Ils s’appelaient Gauvain, Agravain et Gahériet, et
c’étaient de beaux et nobles enfants que chacun prenait plaisir à fréquenter.
Antor et ses deux fils furent logés dans la demeure même du roi, et la reine
Anna leur témoigna les marques d’une amitié très sincère. À vrai dire, Anna ne
pouvait s’empêcher d’admirer la prestance du jeune Arthur et, pour sa part,
celui-ci trouvait particulièrement émouvante la beauté de la reine d’Orcanie.
Or, pendant leur séjour, il arriva une aventure
merveilleuse. Un jour que le roi Loth était à la chasse, dans une forêt
voisine, il aperçut une horde de loups et se mit à les poursuivre. Il tua deux
louveteaux mais, alors qu’il reprenait sa chasse, il vit arriver un loup qui se
coucha à ses pieds. Très étonné, le roi n’eut pas le cœur de frapper l’animal.
Il appela ses compagnons et leur dit : « Voyez ce loup qui s’est couché
devant moi ! Que signifie cette attitude ? » Les compagnons
vinrent aussitôt et virent eux aussi l’animal immobile dans une attitude de
supplication. « Voilà une chose merveilleuse, dirent-ils. Il faut que cet
animal soit tout à fait exceptionnel pour manifester ainsi tant de
courtoisie ! » Le roi se sentait pris de pitié. Il dit aux
autres : « Éloignez tous les chiens, et que personne ne touche à
cette bête, car je suis persuadé qu’elle a sens et raison. Je lui fais grâce de
la vie comme je le ferais pour un homme qui me demanderait la
paix ! »
Ainsi fut fait selon la volonté du roi Loth. Quittant la
chasse, le roi revint dans sa forteresse, et le loup le suivit docilement, se
tenant près de lui et semblant lui témoigner les marques les plus vives de son
affection. Puis il fit savoir à tous les siens que ce loup devait être
considéré comme un animal familier dont il fallait prendre soin. Les gens de la
cour, émerveillés, le gardaient volontiers tout le jour au milieu d’eux mais,
le soir, c’est dans la chambre du roi qu’il allait se coucher. Il était
d’humeur égale, ne cherchait jamais à faire mal et s’attirait ainsi l’amitié de
tous.
Mais un jour que Loth avait réuni un certain nombre de ses barons
pour délibérer avec eux des affaires du pays, on ne fut pas peu surpris de
constater le changement d’attitude du loup. En effet, dès qu’un des barons,
nommé Ythier, pénétra dans la salle, le loup, qui reposait sur un coussin, près
du siège du roi, se dressa
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