La naissance du roi Arthur
d’or : « Rydderch le Généreux, qui n’eut pas dans le monde
son égal en largesses et en prouesses, repose ici en cette terre qui fut la
sienne. » Puis elle prit conseil auprès de ses vassaux sur ce qu’il convenait
de faire pour assurer la succession du roi Rydderch. Celui-ci n’avait pas
d’héritier légitime, en effet, et seules Gwendydd et Gwendolyn, sa veuve et sa
sœur, pouvaient prétendre à gouverner le royaume. Mais Gwendydd avait décidé de
renoncer au monde et de retourner dans la forêt, auprès de son frère. Les
vassaux délibérèrent et l’on tomba d’accord pour confier les destinées du pays
à Gwendolyn. Alors Gwendydd prit congé de tous et revint à sa demeure en forêt.
Elle y trouva Merlin plus affaibli que jamais. Sa tristesse
faisait peine à voir et Gwendydd se demandait avec angoisse par quel miracle
elle pourrait le sauver. Il restait immobile sous son arbre favori, son loup à
ses côtés, les yeux hagards et vides, et il ne prononçait pas une seule parole.
On avait beau lui présenter de la nourriture, il refusait tout et n’absorbait
que de l’eau. Merlin le devin se mourait de langueur, sous le coup de la
terrible malédiction qui s’était abattue sur lui lors de la bataille d’Arderyd.
Et Gwendydd ne pouvait que pleurer.
C’est alors que survint Taliesin. Le barde avait quitté le
service du roi Uryen et s’en était allé de l’autre côté de la mer, en
Armorique, où il avait passé de longs mois en compagnie du sage Gildas, en son
ermitage. Et quand Taliesin vit l’état dans lequel se trouvait Merlin, il fut
profondément affligé. Mais il dit : « Je sais que, non loin d’ici,
une source nouvelle vient de jaillir et que les eaux de cette source ont de
grandes vertus curatives. » Gwendydd envoya ses serviteurs à la recherche
de cette source et on la trouva bientôt, sous un grand rocher qui surplombait
un ravin. On y mena Merlin et on le fit boire.
Dès que ses lèvres eurent touché de cette eau, Merlin poussa
un grand cri et se redressa. Il reconnut Taliesin et manifesta une grande joie.
Puis il dit : « J’étais aux portes de l’Enfer et l’Ennemi m’attirait
à lui de toutes ses forces. Mais Dieu n’a pas voulu que je franchisse ces
portes, car je dois accomplir mon destin auprès des hommes. » Merlin était
encore très faible. On l’aida à marcher et on le ramena dans sa demeure. Il
mangea de bon appétit et dormit pendant deux jours et deux nuits. Quand il se
réveilla, il était joyeux et, peu à peu, reprenant des forces, il se montra tel
qu’il était auparavant. Il passait de longues heures à converser avec Taliesin.
Le barde chantait le vent, les étoiles, les nuages, les sources qui sont dans
le monde et la lumière du soleil. Merlin l’écoutait attentivement, puis il lui
posait des questions qui ne demandaient même pas de réponse. Souvent Gwendydd participait
à ces entretiens et elle se réjouissait que son frère eût retrouvé toutes ses
facultés.
Au bout d’un mois, Merlin fut tout à fait rétabli. « Il
me faut maintenant partir, dit-il un jour, car les temps sont venus. Je ne peux
rien changer au destin, mais je dois être présent pour que tout
s’accomplisse. » À ce moment, Gwendydd entra dans un état de fureur
prophétique. Les yeux levés vers le ciel, elle s’écria : « Tout
s’accomplira, car tout est maintenant prêt pour que surgisse le roi qu’on
attendait ! Tout s’accomplira, le meilleur et le pire, parce qu’il en est
ainsi de toute éternité ! L’ours va se réveiller au fond de sa caverne et,
sentant la chaleur du soleil, il va se montrer à la face du monde ! Mais
je vois un serpent qui se glisse sous les pierres, un serpent qui va rester
longtemps dans l’ombre ! Hélas ! il arrivera que le serpent mordra
l’ours et que l’ours écrasera le serpent ! Et rien ne pourra empêcher ce
combat meurtrier ! » Et Gwendydd se mit à sangloter.
« Calme-toi, ma sœur, dit Merlin. Ta vision est juste,
et tu as comme moi le don de lire les choses de l’avenir. Oui, l’ours va
maintenant sortir de sa caverne et entraîner le monde dans d’étranges
aventures. Mais s’il est vrai que le serpent rôde dans l’ombre, il ne peut rien
encore contre l’ours. » Alors Merlin prit congé de Gwendydd et de
Taliesin, les recommandant à Dieu et leur annonçant que l’ermite Blaise
viendrait bientôt les rejoindre. Puis il partit seul sur le chemin qui menait
vers le pays
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