La naissance du roi Arthur
pas
confiance dans ce que je te révèle ? » – « Non, répondit le roi.
Tu m’as prédit qu’un enfant mourrait de trois morts différentes. J’attends
toujours confirmation de ta prédiction qui me semble d’une parfaite absurdité. »
Merlin se mit à marmonner entre ses dents : « Patience, patience, et
tu seras bien ébahi… »
Néanmoins, comme il en avait fait le serment, Rydderch
ordonna qu’on laissât partir Merlin. Il se précipita en courant hors de la
ville en direction de la forêt, au grand désespoir de Gwendydd. Mais, le
lendemain, on vint annoncer au roi une étrange aventure au sujet de l’enfant
dont Merlin avait prédit la mort de trois façons différentes. En effet, en
poursuivant un cerf, il était tombé sur une grosse roche au fond d’un ravin,
puis avait rebondi et s’était noyé dans le torrent tout en restant accroché par
un pied à la branche d’un arbre. Et cela prouvait que Merlin n’avait en rien
perdu ses dons.
Le roi Rydderch en fut bien chagriné, car, dans ce cas, il fallait
croire ce qu’avait dit Merlin à propos de la feuille restée accrochée aux
cheveux de sa femme. Il était donc vraisemblable que Gwendydd le trompait.
Toute la journée, il évita de se trouver en présence de Gwendydd, et, de son
côté, celle-ci n’avait aucune envie de s’expliquer sur ce sujet. Elle rassembla
ses serviteurs les plus proches, engagea quelques charpentiers habiles et
déclara publiquement qu’elle désirait se retirer un certain temps dans la forêt
pour aider son malheureux frère et le soigner, dans l’espoir de guérir sa folie
et lui faire réintégrer la société des hommes. Rydderch ne fut pas dupe de
l’attitude de Gwendydd, mais il la laissa partir, bien qu’il en ressentît
beaucoup de peine.
Gwendydd fit construire un groupe de maisons pour elle et
ses serviteurs et, plus à l’écart, une demeure pour Merlin. Celui-ci, en effet,
avait fini par accepter de renoncer en partie à sa vie d’homme sauvage :
il trouverait dans cette maison un abri pour les jours de pluie ou de froid,
et, le reste du temps, il s’en irait errer où bon lui semblerait, avec le loup
gris dont il avait fait son compagnon [90] .
Ainsi vécurent, pendant de très longs mois, Merlin, le devin fou, et sa sœur
Gwendydd qui, chaque fois que cela était possible, recueillait soigneusement
les paroles insensées que prononçait son frère.
Un jour, Merlin vint la trouver et lui dit :
« Gwendydd, ton époux vient de mourir. La peine et l’affliction tombent
sur le pays, car c’était un roi bon et généreux. C’est dans une embuscade qu’il
a péri, de la main d’un traître qui sera châtié durement pour le crime qu’il a
commis. Hélas ! les rois ne sont guère plus que les autres humains, mais
on leur doit hommage quand ils jettent un regard bienveillant sur ceux que Dieu
leur a confiés. Va maintenant, Gwendydd, retourne à la forteresse de ton époux,
car c’est à toi qu’incombe désormais le sort de ce pays. Fais en sorte que ses
funérailles soient dignes de sa gloire, et chante sur sa tombe la déploration
qui convient. » Gwendydd fit comme Merlin le disait. Elle partit
immédiatement pour la forteresse d’Arcluyd, et c’est elle qui chanta la
déploration pour Rydderch le Généreux :
« Le hall de Rydderch Hael est sombre, cette nuit, sans
feu, sans lumière, et quel silence autour de lui !… Le hall de Rydderch
Hael a de sombres lambris, il n’abrite plus de riantes compagnies. Malheur à
qui n’a pas de fin heureuse !… Le hall de Rydderch Hael est sombre, cette
nuit, sans feu et sans chansons. Les larmes me creusent les joues… Le hall de
Rydderch Hael me fait mal à voir, sans feu, sans assemblée. Mon maître est mort
et moi, je vis… Le hall de Rydderch Hael est triste, cette nuit, après les
honneurs que j’y reçus parmi les guerriers et les femmes !…
Le corps délicat de Rydderch sera recouvert aujourd’hui de
terre et de fleurs. Douleur sur moi, car mon époux est mort ! Son corps
délicat et blanc sera recouvert aujourd’hui de terre et de gazon. Douleur sur
moi, car mon époux est mort ! Son corps délicat et blanc sera recouvert aujourd’hui
de terre et de sable. Douleur sur moi et triste destinée ! Son corps
délicat et blanc sera recouvert aujourd’hui de terre et de pierres bleues.
Douleur sur moi et triste déchéance [91] !… »
Et Gwendydd fit graver sur la tombe du roi cette épitaphe en
lettres
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