La naissance du roi Arthur
plus tard, et toujours sur les conseils de
Merlin, le roi Loth s’en alla dans sa chambre. Pour que l’affaire fût bien
claire, il avait tenu à se faire accompagner par quelques personnes qui
connaissaient le chevalier et qui pourraient donc l’identifier. Quand ils
entrèrent dans la chambre, ils eurent la surprise d’apercevoir, couché sur le
propre lit du roi, le chevalier Lionel profondément endormi. Et chacun
s’extasia sur cette heureuse métamorphose.
Quand il se réveilla, il montra un visage rayonnant de joie
et remercia le roi d’avoir eu la patience et la bonté de mettre fin à sa
douloureuse épreuve. Et il ne redevint jamais loup, car Merlin avait fait en
sorte que la malédiction qui le frappait fût définitivement effacée par la
vertu de ses sortilèges. Quant à la femme et à son complice Ythier, ils furent
à jamais bannis du royaume, tandis que Lionel recouvrait tous ses biens. Et le
roi Loth demanda à ses clercs de consigner dans leurs écrits cette merveilleuse
aventure.
Cependant, le temps passait et les deux fils d’Antor
s’exerçaient chaque jour dans l’art de chevalerie. Le jour vint où Kaï, qui
était plus âgé, put devenir chevalier, et il fut ainsi armé de la main même du
roi Loth, en même temps qu’un de leurs meilleurs compagnons de joute, qui avait
nom Bedwyr, fils de Bedrot. Il venait du Nord et était un familier de la cour
d’Orcanie, car il y avait été élevé. Kaï et Bedwyr furent bientôt inséparables
et une grande amitié les lia toute leur vie. Il faut dire que tous deux étaient
de remarquables guerriers. Kaï avait une vigueur caractéristique qui lui
permettait de rester neuf jours et neuf nuits sans dormir, lorsqu’il le
fallait. De plus, il était très grand et pouvait se hausser jusqu’au plus haut
des arbres, dans une forêt, pour examiner les alentours : c’est pourquoi
on le surnommait Kaï Hir, c’est-à-dire le Long. Sa chaleur naturelle était
telle que lorsqu’il pleuvait, les gouttes de pluie ne l’atteignaient pas, car
elles s’évaporaient au-dessus de lui. Mais il avait les défauts de ses
qualités, et son enthousiasme le conduisait toujours à une vaine témérité.
Quant à Bedwyr, bien qu’il lui manquât une main, il pouvait faire jaillir le
sang plus vite que trois combattants sur un champ de bataille, car il était
extrêmement adroit. Sa lance avait une singulière vertu : elle produisait
une blessure lorsqu’elle pénétrait dans la chair, mais elle en produisait neuf
lorsqu’on essayait de la retirer. D’ailleurs, dans l’île de Bretagne, personne
ne pouvait égaler Bedwyr lorsqu’il disputait une course avec ses compagnons [93] .
De temps à autre, Kaï et Bedwyr quittaient la cour du roi
Loth et s’en allaient à la recherche d’aventures qui eussent pu mesurer leur
valeur réciproque. Arthur les accompagnait, car il servait d’écuyer à son frère
Kaï, et lui aussi avait pris Bedwyr en sincère amitié. Il arriva, un jour, que
les trois compagnons s’égarèrent sur les terres du roi Mark, fils de
Merichiawn. Le roi Mark avait une très belle femme, qui était fille du roi
d’Irlande, et que l’on nommait Yseult. Or, cette Yseult était follement
amoureuse de Tristan, fils de Tallwch, qui était le neveu de Mark. Les deux
amants avaient coutume de se rencontrer en cachette, chaque fois que Mark
quittait la forteresse pour aller à la chasse ou pour se lancer dans une
expédition guerrière. Tristan donnait rendez-vous à Yseult en jetant des
copeaux dans le ruisseau qui passait au milieu de la chambre de la femme [94] .
Celle-ci, qui voyait les copeaux, venait à un lieu qui n’était jamais le même,
car il ne fallait pas qu’on pût les surprendre. Or, ce jour-là, Tristan avait
demandé au porcher de Mark de porter un message à l’un de ses amis, et il
s’était proposé pour prendre sa place, ce qui lui aurait permis de recevoir
Yseult dans sa cabane.
Mais Kaï, Arthur et Bedwyr avaient été témoins de la scène
et n’avaient pas été dupes du manège. Ils se dirent que c’était une bonne
occasion de s’emparer du troupeau de cochons de Mark et de le ramener à titre
de butin, car il était évident que Tristan serait distrait et aurait autre
chose à faire que surveiller les bêtes. Alors, ils virent Yseult arriver et
s’engouffrer dans la cabane du porcher en compagnie de Tristan. Ils attendirent
quelques instants, puis Kaï et Bedwyr se mirent en devoir de rassembler
Weitere Kostenlose Bücher