La naissance du roi Arthur
tout prévu et tout organisé ? » – « Qui d’autre que toi
pourrait-ce bien être ! » s’écria Morgane.
« Tu me flattes, dit Merlin, je ne savais pas que
j’avais de si grands pouvoirs. Quand donc comprendras-tu que je ne suis qu’un
simple instrument entre les mains de Dieu ? » – « Je ne crois
pas en ta modestie, Merlin, et je ne me laisserai pas prendre à tes paroles. Je
veux simplement voir comment tu agis. Cela te gêne ? » – « Pas
le moins du monde, Morgane, tu es libre. Mais si je peux t’aider à comprendre,
demande et je te répondrai. » Morgane demeura un instant silencieuse. Ils
marchaient à présent à travers les arbres. « Et si je te montrais quelque
chose ? » reprit Merlin. – « Tu le ferais vraiment ? »
Merlin se mit à rire.
Il lui fit signe de le suivre. Il se dirigea vers un tertre,
à la limite de la forêt, et en face de la forteresse de Carduel. Il n’y avait
personne, car l’endroit était exposé au vent froid qui soufflait du nord. Il
gravit lentement la pente et, lorsqu’il fut arrivé au sommet, il s’arrêta.
Morgane l’avait rejoint. Alors Merlin désigna de la main le centre du tertre.
Il y avait là un gros bloc de pierre de forme à peu près carrée, surmonté d’un
perron qui paraissait être de marbre, et par-dessus une enclume de fer qui
pouvait avoir un demi-pied de haut, et dans lequel était enfoncée jusqu’à la
garde une épée, dont le pommeau ciselé d’or fin étincelait de mille couleurs.
Devant un si étrange spectacle, Morgane ne put retenir un cri d’admiration.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle. Merlin la regarda bien
en face, mais elle fuyait ses yeux comme si elle craignait d’être transpercée.
« C’est l’Épée de Souveraineté, dit-il enfin, l’épée qui vient des îles du
nord du monde, et qui porte le nom de la foudre violente [101] . C’est elle que devra brandir
le roi que Dieu a choisi pour ce royaume, et lui seul pourra la soulever et
l’arracher de cette pierre, et lui seul pourra la tenir au-dessus de la mêlée
sans que sa main soit brûlée par la chaleur qu’elle dégage. Que veux-tu savoir
encore, Morgane ? » – « Quel est celui que Dieu a
choisi ? » demanda-t-elle. Merlin se mit à rire et dit :
« Tu le sauras peut-être demain… »
Et, silencieusement, comme s’il glissait sur le sol, Merlin
se sépara de Morgane et s’engagea sous le couvert des arbres. Mal à l’aise,
Morgane demeura encore quelques instants immobile à contempler cette étrange
épée qui surgissait ainsi de la pierre. Mais le vent était froid. Toute
frissonnante, elle descendit la pente et revint vers la forteresse tandis que
les ombres de la nuit commençaient à dévorer son visage.
Peu avant minuit, les grands du royaume et les clercs qui
avaient été convoqués se réunirent dans la grande église de Carduel, afin
d’assister à la messe que devait célébrer l’archevêque de Caerlion sur Wysg, le
plus vénérable et le plus écouté des prélats de ce pays. Et chacun, avec
ferveur, pria Notre Seigneur de désigner un homme capable de protéger le peuple
et d’établir la justice. Quand la messe fut terminée, certains partirent, mais
d’autres attendirent dans l’église la messe de l’aube. Un grand nombre de gens
traitaient de fous ceux qui pensaient que Dieu s’occuperait lui-même de
l’élection d’un roi. N’était-ce pas le rôle des grands du royaume de choisir
entre eux celui qu’ils jugeraient le plus apte à porter la couronne ? Et
les discussions allaient bon train lorsqu’on sonna la messe. Tous retournèrent
à l’église.
Avant de commencer l’office, l’archevêque s’adressa à
l’assemblée, lui demandant d’avoir confiance en Dieu qui ne pouvait pas la
laisser dans un tel embarras. « Nous nous disputons, ajouta le prélat,
pour élire l’un d’entre nous, mais nous devons reconnaître que nous n’avons pas
assez de sagesse pour choisir le meilleur. C’est pourquoi il convient de nous
en remettre à Dieu seul, car il n’est pas possible qu’en ce jour de Noël il
n’accomplisse pas un miracle. »
Tous suivirent les recommandations de l’archevêque, qui
célébra l’office jusqu’à l’évangile. Cependant, aussitôt après l’offertoire, un
certain nombre de gens s’étaient réunis sur la vaste place qui s’étendait
devant l’église. À ce moment-là, il commençait à faire jour, et quelqu’un vint
leur
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