La naissance du roi Arthur
avaient fait
si longtemps régner la terreur sur les champs de bataille. Mais ils devaient se
rendre à l’évidence. Arthur, cet inconnu à la naissance obscure, avait bel et
bien réussi l’épreuve de l’épée. Il avait été choisi par Dieu, et il y avait
maintenant un roi au royaume de Bretagne.
Pendant que tous les barons, entourant Arthur, se
dirigeaient vers l’église pour y entonner le chant du Te Deum , Merlin, qui n’avait cessé de rôder à
travers les groupes, ne pouvait s’empêcher de rire :
« Adultère ! Inceste ! Ruses du diable ! marmonnait-il. Et
pourtant, que de jeunesse ! Que d’espérance ! Que de
générosité ! Plaise à Dieu que ce ne soit pas entièrement en
vain ! » Il n’entra pas dans l’église, préférant en longer les murs
comme un mendiant qui attend patiemment la sortie des fidèles pour tendre sa
sébile et demander l’aumône. Quand il fut parvenu à hauteur du chevet, il
aperçut une femme, engoncée dans son manteau rouge, mais dont l’abondante
chevelure noire débordait du capuchon pour se répandre dans le vent. Elle
marchait, comme lui, en longeant les murs, mais dans le sens opposé. Elle
s’arrêta devant Merlin. « Ainsi donc, dit-elle, c’était mon frère, du
moins le fils de ma mère ! » – « Comment le sais-tu,
Morgane ? » demanda Merlin. Le rire de Morgane résonna longuement
contre les murs de l’église. « J’étais là, Merlin, t’en souviens-tu ?
dit-elle. J’étais là quand ton roi Uther, que l’Ennemi garde en ses sinistres
séjours, a fait l’amour avec ma mère tandis que mourait mon père ! Et tout
cela par tes sortilèges, Merlin ! Au fond, c’est toi le véritable père d’Arthur ! »
Morgane tremblait de rage, mais aucune larme ne coulait de
ses yeux. « Calme-toi, Morgane, dit Merlin. Il fallait qu’il en fût ainsi.
Tu devrais l’admettre une fois pour toutes et t’incliner devant la volonté de
Dieu. » – « Je ne m’inclinerai jamais devant quiconque ! »
s’écria Morgane. Merlin la regarda attentivement et, cette fois, son regard
pénétra celui de Morgane. « Laisse ton orgueil, Morgane. Tu as encore
beaucoup de choses à apprendre. » – « Alors, apprends-les-moi »,
dit Morgane avec insolence. – « Oui, dit Merlin, c’est peut-être le
moment. Ils ont leur roi et ils n’ont plus besoin de nous, du moins pour
l’instant. Viens avec moi, Morgane… » Et tandis que s’élevait le chant du Te Deum en rafales triomphantes sur la vallée et sur
les forêts, Merlin saisit Morgane par le bras et l’entraîna sur le chemin qui
menait vers le nord [102] .
BIBLIOGRAPHIE
(en langue française)
Baumgartner, Emmanuèle, Merlin le
Prophète , Paris, Stock, 1980.
Cerquiglini, Bernard, le Roman du
Graal , édition du manuscrit de Modène, Paris, 10/18, 1981.
Faral, Edmond, la Légende
arthurienne , trois volumes, Paris, 1927.
Fleuriot-Lozac’hmeur-Prat, Récits
et poèmes celtiques , Paris, Stock, 1986.
Goodrich, Norma Lorre, le Roi
Arthur , Paris, Fayard, 1986.
Lot, Ferdinand, Nennius et l’Historia Brittonum , Paris, 1934.
Loth, Joseph, les Mabinogion ,
édition complète, Paris, 1913. Édition abrégée, Paris, 1979.
Markale, Jean, l’Épopée celtique
en Bretagne , Paris, Payot, 3 e éd., 1985. Le Roi Arthur et la société celtique , Paris, Payot,
4 e éd., 1989. Merlin l’Enchanteur ,
Paris, Retz, 1980. Édition de poche, Paris, Albin Michel, 1992. Brocéliande et l’énigme du Graal , Paris, Pygmalion,
2 e éd., 1991.
Régnier-Bohler, Danièle, le Cœur
mangé , Paris, Stock, 1979. La Légende
arthurienne , Paris, Laffont, 1989.
Zumthor, Paul, Merlin le Prophète ,
Lausanne, 1943.
----
[1] L’église romane est tout entière bâtie pour la
méditation intérieure et individuelle, tandis que l’église ogivale, dite
gothique, est bien davantage destinée à des célébrations collectives et à une
plus grande surveillance dogmatique des fidèles. Cela représente, à ce stade de
l’évolution historique, un changement radical d’attitude religieuse.
[2] Je me suis abondamment expliqué sur le personnage et
ses transformations dans mon ouvrage le Roi Arthur et
la société celtique , Paris, Payot, 1976, nouv. éd. 1989.
[3] Voir mon étude sur Merlin
l’Enchanteur , Paris, nouv. éd., Albin Michel, 1992.
[4] Sur ce sujet, voir mon étude sur Lancelot et la chevalerie arthurienne , Paris, Imago,
1985.
[5] Le prototype est un récit irlandais,
Weitere Kostenlose Bücher