La naissance du roi Arthur
son rôle et ne pensait aucunement à en changer.
Mais une nuit que l’empereur dormait tranquillement auprès
de son épouse, il eut un rêve étrange qui le poursuivit tout au long de la
journée. Il avait vu, en effet, une grande truie dont les soies traînaient
jusqu’à terre et qui portait un cercle d’or sur la tête ; il lui semblait
que son apparence avait quelque chose de familier, sans qu’il eût pu pour autant
lui donner un nom. Et, chose très étrange, dans son rêve il avait vu entrer
douze louveteaux qui s’étaient précipités sur la truie et l’avaient saillie
l’un après l’autre. Après quoi, la truie était partie avec les louveteaux.
L’empereur rêva encore qu’il demandait conseil sur le sort qu’on devait
réserver à cette truie, et on lui répondait qu’elle devait être jetée au feu
avec les douze louveteaux.
L’empereur se réveilla très mal à l’aise, mais il ne savait
pas pourquoi. Il n’en dit mot à sa femme, car il était sage et avisé et ne
voulait en aucun cas se confier inconsidérément. En allant au conseil, il
rencontra le jeune Grisandole dont il avait fait son sénéchal à cause de ses
grandes qualités, et il pensa un instant lui demander ce qu’il pensait de son
rêve. Mais la beauté du soi-disant jeune homme était telle qu’il en perdait
tout contrôle sur lui-même. Aussi préféra-t-il se taire ; mais il demeura
si pensif et si éloigné du reste du monde que ses familiers finirent par
s’apercevoir de son trouble. Cependant, personne n’osa lui poser de questions
et il demeura ainsi toute la journée, sans manger, sans boire, et répondant de
façon très évasive aux questions que ses conseillers lui posaient.
Or, vers le soir, dans la forteresse où résidait l’empereur,
on entendit une grande rumeur. Il s’agissait d’un cerf, d’une hauteur
merveilleuse, et à trois cors, qui se faisait chasser dans les rues de la
ville. Personne ne savait d’où il venait, mais il impressionnait tellement les
gens que ceux-ci le poursuivaient en espérant bien mettre la main sur lui, et
tout cela en poussant de grands cris et de grandes huées. Le cerf, après avoir
parcouru longtemps les rues, se retrouva à la porte du palais où résidait
l’empereur. Sans s’occuper des gardes, il franchit la porte et se précipita à
l’intérieur, jusqu’à la salle où l’empereur était assis pour le repas,
renversant les tables, les vins, les viandes, les pots et toute la vaisselle.
Et quand il fut arrivé devant l’empereur, il s’inclina et se mit à parler dans
le langage clair des humains au milieu des convives assemblés. Et voici ce
qu’il dit : « Empereur, laisse tes pensées qui ne te valent rien de
bon, car je t’avertis que tu ne trouveras personne pour t’expliquer le rêve que
tu as fait cette nuit, hormis l’Homme Sauvage que tu devras t’efforcer de
découvrir. » Et, là-dessus, les portes, qui pourtant avaient été
solidement fermées, s’ouvrirent brutalement, sans que personne n’intervînt, et
le cerf s’enfuit à travers les rues où il fut de nouveau chassé par les habitants.
Mais il leur échappa très rapidement et, sans qu’on pût savoir comment, il
sauta par-dessus les remparts et disparut dans la campagne. L’empereur fut bien
ébahi de ce qui était arrivé, et il se demandait bien quelle était la
signification du message que le cerf lui avait adressé. Il fut également très
courroucé quand il apprit que le cerf s’était échappé de la ville et qu’il
s’était enfui sans qu’on ne retrouvât trace de lui aux alentours. Il fit crier
par toutes les rues que celui qui lui ramènerait le cerf, ou l’Homme Sauvage
dont celui-ci avait parlé, recevrait la moitié de sa terre et la main de sa
fille, à condition toutefois qu’il fût de bonne naissance et qu’il eût prouvé
son habileté à tenir le gouvernement d’une province. Aussitôt, les jeunes gens du
pays se mirent en quête du cerf et de l’Homme Sauvage, mais ils avaient beau
errer dans les forêts, sur les pâturages et dans les champs cultivés, ils ne
virent aucune trace de ceux qu’ils cherchaient, ni aucune indication sur
l’endroit où ils pouvaient se trouver. La plupart d’entre eux ne tardèrent pas
à revenir à la cour, affirmant haut et clair que l’empereur et eux-mêmes
avaient été le jouet d’une illusion diabolique. Seule celle qui se faisait
appeler Grisandole poursuivit sa chasse à travers les bois. Huit
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